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JUMEAUX (anthropologie)

La gémellité valorisée

Il arrive que des évaluations positives prennent le pas sur celles qu'on vient d'évoquer, et que les jumeaux soient considérés comme des entités non humaines coexistant par exemple avec une divinité supérieure ou avec d'autres « génies ». Des cultes leur sont assez fréquemment consacrés en Afrique ; ils sont matérialisés par des « autels » (objets, monticules, etc.) qui portent généralement les signes du caractère double et qui sont soit des lieux ou objets publics, soit la propriété d'un individu ou d'un lignage. Par le pouvoir qui leur est reconnu sur la fécondité des hommes et de la terre, ils ont une grande importance dans la vie quotidienne. Mais l'existence de ces cultes doit être distinguée des attitudes adoptées lors d'une naissance effective de jumeaux. C'est sur un registre différent, celui des relations sociales actuelles, que s'exprime l'ambivalence devant le fait troublant de la gémellité, induisant le respect, l'humilité ou d'autres attitudes. Les cultes eux-mêmes, avec la fonction régulatrice qu'ils ont sur la santé et sur la reproduction humaine et végétale, renvoient à une autre sorte d'ambivalence, qui se rapporte à des entités censées avoir prise sur la maladie, la vie et la mort. Ainsi, chez les Senoufo (Côte-d'Ivoire), l'omniprésence de sacrifices rendus aux jumeaux non humains n'est pas incompatible avec une attitude relativement hostile à l'égard des jumeaux réels. Cependant, c'est souvent à l'occasion d'une naissance effective de jumeaux que s'édifient les autels de ces cultes, qui intéresseront ensuite de façon autonome la fécondité du groupe. Il arrive d'ailleurs, comme chez les Kukuya, que les jumeaux réels soient par eux-mêmes des symboles incarnés de santé.

La valorisation de la gémellité s'exprime aussi dans les traditions soudanaises, qui posent la gémellité comme représentant l'état primordial de l'être et comme étant exclusivement bénéfique. L' androgynie originelle a son expression la plus fameuse dans la cosmogonie dogon, où l'union mythique d'un couple de jumeaux est présentée comme la forme d'union première et idéale, en même temps qu'elle rend compte de l'organisation actuelle de la société dogon : deux couples de jumeaux, les Nommo, furent les premières créatures vivantes, mais l'un des jumeaux quitta l'« œuf du monde » en dérobant un morceau de placenta maternel qui devint terre et avec lequel il s'unit dès qu'il fut séparé de sa jumelle. L'union gémellaire et la procréation gémellipare sont ici la norme, la naissance simple étant davantage envisagée soit comme une perte, soit comme un reste ou une incomplétude par rapport à l'union initiale. Le mythe évoque aussi à ce sujet des correspondances, notamment avec l'organisation de la parenté (relations avunculaires) et avec la conception de la personne. Non seulement la naissance surnuméraire, chez les Dogon, fonctionne comme explication d'un système social, mais, en tant qu'événement même, elle est fortement valorisée. Il en va de même dans d'autres groupes voisins (Bambara). Chez les Gourmantché (Burkina Faso), les cérémonies de mariage comportent des séquences qui symbolisent l'union gémellaire et qui développent l'idée que la rupture de celle-ci est la condition de l'alliance et donc de la vie sociale. Certaines sociétés africaines considèrent ainsi le placenta comme le « jumeau » du nouveau-né, c'est-à-dire qu'elles regardent celui-ci comme un être incomplet, comme un « reste ». Le placenta, dont on fait souvent une composante de la personne qui détermine la destinée future, représente le jumeau perdu.

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