JUPITER, planète
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Les nuages
Les formes et contours qui, dans le visible, se dessinent sur le disque de Jupiter correspondent à de forts contrastes de brillance ; ceux-ci sont dus à la distribution particulière de couches de nuages plus ou moins opaques se formant à différentes altitudes.
L'extrême singularité du spectacle de Jupiter – et de celui de Saturne – réside avant tout dans une forte symétrie axiale : une dizaine de bandes brillantes et de bandes plus sombres alternent le long de lignes parallèles à l'équateur. Facilement discernable depuis les observatoires terrestres, cette répartition géographique, régulière, de contours traduit la permanence d'une dynamique atmosphérique conduisant à des vents zonaux alternativement d'est et d'ouest ; elle a abouti à l'adoption d'une nomenclature qui établit une distinction entre deux types de bande : les bandes brillantes correspondent à ce qu'il est convenu d'appeler des zones et les bandes sombres à des ceintures.
L'autre particularité du spectacle que procure l'observation dans le visible du disque de Jupiter est la très grande variété des couleurs. Les renseignements obtenus sur la composition chimique de l'atmosphère et sur sa structure – cela a été souligné précédemment – ne permettent d'envisager l'existence que d'un petit nombre de substances susceptibles de constituer la masse des aérosols des nuages de Jupiter. Parmi ces substances, les meilleurs candidats sont des particules solides, des cristaux d'ammoniac et de sulfure acide d'ammonium. Ces substances sont incolores et leur présence ne peut rendre compte que des bandes parallèles blanches et d'autres contrastes tels que les panaches blancs observés au-dessus des régions équatoriales. Ce sont par conséquent des constituants mineurs qui doivent être à l'origine de la coloration des nuages, vraisemblablement à la faveur de changements locaux de l'équilibre chimique. L'identification de ces constituants chromogènes n'est pas aisée, compte tenu justement de la variété des couleurs. Outre la couleur blanche, on observe grosso modo quatre teintes : rouge, roux, marron et gris-bleu. Par ailleurs, l'analyse des images infrarouges a révélé que chaque couleur doit plus ou moins intervenir à un niveau d'altitude donné. Par exemple, les taches de couleur bleue sont associées aux régions pour lesquelles l'émission infrarouge est la plus forte, ce qui montre que, pour ces régions, les couches atmosphériques les plus chaudes, donc les plus profondes, émettent sans que des nuages en altitude viennent atténuer le rayonnement infrarouge. Si l'on arrive à apercevoir dans le visible ces taches bleues caractéristiques des nuages en profondeur, c'est parce qu'il existe des « fenêtres » dans la couverture que constituent les nuages supérieurs. La couleur de ces derniers varie avec l'altitude : ils sont d'abord marron, puis d'un jaune tirant sur le roux, puis nettement blancs à haute altitude. C'est en raison de la variabilité géographique de l'opacité des couches supérieures qu'il est possible, en observant dans le visible, d'apercevoir localement des zones plus ou moins importantes des nuages sous-jacents.
Les spéculations concernant la nature des constituants chromogènes ne manquent pas ; on peut penser qu'à l'origine des colorations marron et jaunes il y a différentes formes polymérisées du soufre. La présence du soufre élémentaire Sn parmi les constituants gazeux de la basse atmosphère est très vraisemblable ; en se condensant, ce constituant peut se transformer en un grand nombre de formes allotropiques qui sont autant d'agents colorants potentiels. Le soufre élémentaire se créerait à la suite d'une photodissociation de l'hydrogène sulfuré (H2S) sous l'action du rayonnement solaire ultraviolet et jusqu'à des altitudes relativement faibles. Bien qu'il n'ait pas été formellement identifié, l'hydrogène sulfuré est, avec l'ammoniac et l'eau, un constituant qui intervient dans tous les modèles de l'atmosphère inférieure de Jupiter.
La couleur de la Grande Tache rouge est une énigme car, compte tenu du niveau de l'atmosphère où elle est située, elle doit être associée aux nuages blancs. Ceux-ci ressemblent aux cirrus terrestres ; constitués de cristaux d'ammoniac formés à 150 kelvins, ils sont d'une pureté qui témoigne de l'absence d'agents colorants. Or la Tache rouge est indiscutablement, d'après les mesures infrarouges, un phénomène de l'atmosphère supérieure très froide, au-dessus même des nuages blancs.
Il est en tout cas clair que l'association couleur-stratification a un fondement physique et que l'analyse de la morphologie des nuages, selon leur couleur, n'est pas arbitraire. C'est ainsi que l'on s'est attaché à classer les marques visibles en différents groupes. Un premier groupe concerne les nuages bleus, un deuxième les taches rouges, un troisième les nuages bruns ou noirs de forme allongée et un quatrième les marques de couleur gris-bleu. Alors que la structure en bandes parallèles et la Grande Tache rouge sont nettement discernables depuis les observatoires terrestres, ce sont les images transmises en 1974 et en 1975 par les sondes Pioneer-10 et Pioneer-11, respectivement, qui ont réellement révélé les autres marques caractéristiques des nuages joviens. Par la suite, les sondes Voyager et Galileo ont fourni des informations encore plus précises. La séparation entre zones claires et ceintures sombres est apparue beaucoup moins tranchée qu'on ne l'avait imaginé. En ce qui concerne par exemple les nuages blancs, l'impression qui prévaut est plutôt que la planète est entièrement recouverte d'un « manteau » supérieur de cirrus plus ou moins uniforme. Quant aux panaches blancs, ils auraient pour origine des mouvements atmosphériques verticaux transportant un gaz saturé en vapeur d'ammoniac vers les altitudes élevées, où se produirait la condensation en cristaux blancs caractéristiques. La forme étirée des panaches doit être alors la conséquence de la présence de vents horizontaux en altitude. Quant à l'autre catégorie de nuages blancs, des ovales de grande dimension, tels que ceux qui dans l'hémisphère Sud accompagnent la Grande Tache rouge, il ne fait pas de doute qu'ils ont comme leur compagnon les caractéristiques des formations orageuses de type anticyclone. La Grande Tache rouge, qui appartient au deuxième groupe de nuages, est en effet généralement interprétée comme la conséquence d'un phénomène météorologique de l'atmosphère supérieure. Elle s'inscrit distinctement à l'intérieur de la zone tropicale de l'hémisphère Sud. De forme ovale, sa largeur n'a guère changé depuis l'époque de sa découverte, il y a trois siècles environ. En revanche, son étendue – de l'ordre de 20 000 kilomètres en longueur et de 12 000 kilomètres en largeur – et sa couleur subissent de faibles variations. C'est également à l'intérieur des zones brillantes que s'inscrivent d'autres taches de plus faibles dimensions et dont la couleur correspond aussi à un mélange de rouge et d'orange. Probablement dues au même phénomène cyclonique que la Grande Tache rouge, elles n'ont pas son caractère permanent. À titre d'exemple, on a identifié, dans la zone tropicale de l'hémisphère Nord, une sorte de réplique à la Grande Tache rouge. Après que Pioneer-10 l'eut photographiée en 1973, on avait estimé que sa soudaine apparition avait dû se produire dix-huit mois auparavant ; un an après, lorsque Pioneer-11 scruta la même région, elle avait disparu. Dans l'autre hémisphère, dans la zone tropicale sud, où se trouve immergée la Grande Tache rouge, on avait identifié, depuis 1919, une longue tache foncée extrêmement variable ; appelée grande perturbation australe, elle n'a pas été observée depuis 1939.
L'observation des ovales bruns, qui sont classés dans le troisième groupe, a également une longue histoire. De caractère semi-permanent, une grande tache brune allongée sur près de 10 000 kilomètres a été souvent localisée entre la ceinture équatoriale nord et la zone tropicale nord. Les caméras des sondes Voyager et Galileo ont photographiée d'autres ovales bruns situés toujours dans la même région, proche de la ceinture équatoriale nord. L'observation permet de confirmer que ces formes ovales sont discernables parce qu'il existe des fenêtres dans la couche nuageuse intermédiaire colorée tirant vers le roux, cette dernière se situant elle-même sous les nuages blancs. Il est cependant curieux de constater que les fenêtres pratiquées à l'intérieur de la couverture de nuages roux correspondent toujours – plusieurs décennies d'observation l'ont montré – à la latitude 130 nord ; on ne les observe jamais dans les régions équatoriales. Et là encore se pose la question de l'agent colorant des ovales bruns que l'on entr'aperçoit à la faveur des fenêtres et des trous, d'autant qu'il est prouvé que des taches de couleur brune ne sont jamais observées dans les régions équatoriales.
De couleur beaucoup moins nettement définie, le quatrième groupe de nuages est sans conteste la manifestation de phénomènes se produisant très profondément dans l'atmosphère jovienne. Certains ont même avancé l'idée que les taches gris-bleu observées seraient dues uniquement à la diffusion Rayleigh des gaz de l'atmosphère très denses. Elles traduiraient donc le fait qu'il existe par endroits des régions où l'atmosphère serait dépourvue de nuages, même à des altitudes très faibles.
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Écrit par
- André BOISCHOT : astronome titulaire à l'Observatoire de la Côte d'Azur
- André BRAHIC : professeur de classe exceptionnelle à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Daniel GAUTIER : directeur de recherche au C.N.R.S., astronome à l'Observatoire de Meudon
- Guy ISRAËL : docteur ès sciences, directeur de recherche au C.N.R.S.
- Pierre THOMAS : professeur de géologie à l'École normale supérieure de Lyon
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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