JUPITER, planète
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Dynamique de l'atmosphère
Les formations nuageuses les plus marquées dans l'atmosphère jovienne ont été utilisées comme traceurs de la circulation générale pour démontrer sa très forte symétrie axiale. De même, on a pu suivre le mouvement récurrent, avec une période de 6 à 10 jours, des petites taches qui apparaissent dans l'environnement de la Grande Tache rouge. Cela démontre la permanence de vents soufflant toujours dans le sens opposé à celui des aiguilles d'une montre, autour de la Tache rouge. Bien que ne montrant que de manière approximative le mouvement réel des masses d'air, cette méthode s'est révélée suffisante pour établir les grands traits de la circulation générale et des mouvements de l'atmosphère.
À la différence de l'atmosphère de la Terre, où l'on observe seulement deux courants généraux – le courant-jet des latitudes moyennes, soufflant vers l'est, et un courant général faible d'est en ouest pour les latitudes proches de l'équateur –, l'atmosphère de Jupiter est parcourue par plusieurs courants-jets. La vitesse qui leur est attribuée est une vitesse relative par rapport au mouvement de rotation de la planète, dont la période est déterminée par les mesures de son champ magnétique (9 h 55 min). L'étroite corrélation entre, d'une part, des vents soufflant en direction de l'est succédant aux vents vers l'ouest, d'autre part, l'alternance des zones et des ceintures est bien démontrée. Mais c'est principalement la permanence temporelle de la structure méridionale des vents qui est le fait surprenant. Une relative stabilité a été mise en évidence sur presque un siècle d'observation ; les vitesses atteignent 130 mètres par seconde au sud de la zone équatoriale.
Afin d'être en accord avec l'observation, les modèles de la circulation atmosphérique de Jupiter doivent aboutir à l'alternance des vents d'est et d'ouest et démontrer la permanence du phénomène ; ils doivent de plus tenir compte de deux particularités de l'atmosphère jovienne, si on la compare par exemple avec l'atmosphère de la Terre. En premier lieu, l'atmosphère de Jupiter reçoit un flux de chaleur dont près de la moitié provient de l'intérieur de la planète ; l'existence d'une source interne d'énergie thermique a été démontrée par les mesures radiométriques dans l'infrarouge. En second lieu, la température de l'atmosphère supérieure change très peu entre les régions équatoriales et les régions polaires ; la différence atteint au maximum 3 degrés.
Sans chercher à être exhaustif, on peut néanmoins énoncer les principes sur lesquels sont fondés au moins deux types de modèles de circulation générale. Le premier est dû en particulier à Gareth P. Williams, de l'université de Princeton ; ses études s'inscrivent dans la recherche d'une uniformisation des paramètres qui régissent la circulation des atmosphères des planètes principales ; malgré les particularités mentionnées plus haut, Williams prend comme type de modèle unifié son modèle à trois dimensions élaboré pour l'atmosphère de la Terre. Il est évident que, s'agissant de Jupiter, le paramètre prépondérant est la vitesse de rotation de la planète, ce qui peut expliquer l'extrême stabilité des traits généraux de la circulation. Dans l'atmosphère de la Terre, les ondes baroclines, qui prennent naissance aux latitudes moyennes à cause des forts gradients thermiques existant entre l'équateur et les pôles, ont un effet destructeur sur une circulation cellulaire de type Hadley. Dans l'atmosphère de Jupiter, la vitesse de rotation très élevée de la planète a pour conséquence d'amortir complètement ces effets des ondes baroclines. Les résultats de la simulation informatique appliquée à Jupiter conduisent effectivement à un profil alterné des vents d'est et d'ouest.
Une des critiques qui peuvent être faites au modèle de Williams est qu'il admet que l'atmosphère située au-dessous des couches supérieures qui absorbent la lumière solaire a des effets négligeables sur la circulation générale. La grande profondeur de l'intérieur fluide d'une planète comme Jupiter est un paramètre qui a incité d'autres météorologistes à suggérer un type de modèle entièrement différent. De leur modèle, énoncé par Friedrich H. Busse, de l'université de Californie à Los Angeles, il ressort que les zones et les ceintures seraient la manifestation en surface d'un faisceau de cellules de convection prenant leurs racines très profondément dans l'atmosphère. Plusieurs considérations théoriques et expérimentales ont montré que la convection à l'intérieur d'une sphère en rotation se répartit en colonnes plus ou moins longues, emboîtées les unes dans les autres, avec leur axe parallèle à l'axe de rotation. Les deux extrémités d'une même colonne émergent à la surface visible en des zones de latitude opposée, du côté de chaque hémisphère. Pour que ce mécanisme puisse s'appliquer à Jupiter, il faut supposer que les couches fluides à l'intérieur de la planète soient soumises à un gradient de température adiabatique. On manque de résultats expérimentaux concernant la physique des couches situées sous le sommet des nuages et en particulier sur la vitesse des vents. Le modèle présente néanmoins l'avantage d'expliquer la permanence des courants-jets. Une durée de vie du phénomène de l'ordre d’un siècle impose un fort déséquilibre entre, d'une part, une masse fluide très importante impliquée dans le mouvement des jets, d'autre part, une beaucoup plus faible masse impliquée dans les ovales, panaches et tourbillons qui sont les autres caractéristiques de la dynamique de l'atmosphère jovienne. De la sorte, l'effet des tourbillons et autres instabilités baroclines confinés au niveau de pression 5 bars n'ont qu'une influence négligeable sur les mouvements organisés liés aux courants-jets, s'étendant jusqu'aux pressions de 1 000 bars.
Quel que soit le modèle adopté, celui-ci doit également permettre de comprendre la nature et la dynamique des phénomènes qui sont à l'origine non seulement de la Grande Tache rouge, mais aussi des autres ovales de longue durée de vie. Par exemple, les trois ovales blancs qui bordent la Tache rouge sont apparus en 1938. Ils sont, eux aussi, inscrits à l'intérieur d'une circulation atmosphérique qui s'effectue dans le sens opposé à celui des aiguilles d'une montre, ce qui indique qu'ils sont, comme la Grande Tache rouge, des centres de haute pression. De couleur blanche, les ovales doivent être constitués de nuages de cristaux d'ammoniac, et cela montre que leur altitude est élevée. En fait, ils se forment à un niveau qui les place juste au-dessous de la Grande Tache rouge, qui est la formation la plus élevée au-dessus de la couche supérieure moyenne des nuages. Si l'on considère maintenant la structure horizontale des marques, on observe que la Grande Tache rouge se déplace très lentement, à quelques mètres par seconde vers l'ouest, alors qu'elle se trouve dans un environnement où la circulation zonale se maintient à la vitesse de 100 mètres par seconde. La dérive des ovales blancs est plus grande mais leur déplacement reste nettement moins rapide que les vents zonaux. En outre, chaque ovale est animé d'un mouvement de rotation propre ; la matière constituant la Tache rouge prise dans le cisaillement des vents d'est et d'ouest effectue par exemple une rotation avec une période de 6 jours.
Là encore, les modèles ne sont pas toujours satisfaisants quand il faut faire la théorie à la fois de la naissance et de la permanence de ces courants tourbillonnaires. Considérés comme des formations météorologiques, ils ont bien les propriétés d'un système cyclonique ; vu le sens de leur rotation, la Tache rouge et les ovales blancs de l'hémisphère Sud sont des formations anticycloniques. Injectée dans le modèle de circulation générale de Williams, cette hypothèse, qui consiste à voir une perturbation locale à l'origine de la Tache rouge, permet de retracer en gros les propriétés du phénomène : rotation anticyclonique, sillage stable et vorticité associée. Néanmoins, cela suppose la présence d'une couche intermédiaire « matérialisant » l'interface couches de nuages-gaz très denses. Une singularité « topographique » directement en dessous de la région où se produit le phénomène expliquerait alors la permanence de la Tache rouge ; mais comment envisager l'anomalie de la structure interne ainsi suggérée par la théorie ?
Une autre hypothèse a été établie à partir de la position très particulière qu'occupe la Tache rouge entre les deux courants de sens contraires qui la bordent. La permanence de sa forme et la morphologie de son interaction avec la circulation atmosphérique sont des caractéristiques que l'on retrouve parmi les propriétés de propagation d'un type d'ondes particulières, les solitons. Les spécialistes en mécanique des fluides ont ainsi baptisé ces ondes de translation qui présentent un seul bord, sans crêtes ni vagues, et qui se déplacent sans se déformer. Elles peuvent naître de perturbations initiales arbitraires et sont susceptibles d'interaction mutuelle sans changement de leur structure. L'analogie est assez extraordinaire quand on fait l'hypothèse que la Tache rouge est un soliton entretenu par les cisaillements horizontaux observés dans la circulation atmosphérique de la zone tropicale sud. Néanmoins, cela ne permet pas d'expliquer comment sont nés les tourbillons.
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Écrit par
- André BOISCHOT : astronome titulaire à l'Observatoire de la Côte d'Azur
- André BRAHIC : professeur de classe exceptionnelle à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Daniel GAUTIER : directeur de recherche au C.N.R.S., astronome à l'Observatoire de Meudon
- Guy ISRAËL : docteur ès sciences, directeur de recherche au C.N.R.S.
- Pierre THOMAS : professeur de géologie à l'École normale supérieure de Lyon
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Voir aussi
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- CONVECTION ou CONVEXION
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- COSMOGONIE ou ÉTUDE DE LA FORMATION DES OBJETS CÉLESTES
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