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JUSNATURALISME

Les présupposés du jusnaturalisme

De quelque manière qu'il enracine le droit dans la nature humaine, le jusnaturalisme est l'expression juridique du mouvement humaniste qui apparaît à la Renaissance. Délaissant l'harmonie ontologique d'un cosmos hiérarchisé et finalisé aussi bien que les mystères insondables de la Création divine, la pensée moderne a, selon l'expression de Leo Strauss, « installé l'homme tout à fait chez soi en ce monde » (Droit naturel et histoire, 1954). Aussi est-ce d'une philosophie de la conscience que procède, du moins jusqu'au criticisme de Kant, le jusnaturalisme. Avec la découverte métaphysique de l'homme opérée par Descartes, la nature s'est révélée vide de sens et de valeur, donc, muette ; la pensée humaine est dès lors l'unique fondement du droit. Fier des capacités qu'il découvre en lui, l'homme affirme sa promotion par la création des normes destinées à réguler ses conduites et ses situations. Le jusnaturalisme place ainsi l'homme au centre du système normatif assurant l'ordre et la stabilité de sa propre condition.

Seulement, le concept d'homme comme référent primordial et ultime de la doctrine n'est pas sans équivoque. Ce concept ne renvoie pas à l'humanité comme sujet universel donneur de sens mais au sujet pensé comme un Je singulier individualisé. Sur cette base métaphysique qui demeure généralement un non-dit dans les théorisations jusnaturalistes, s'ouvrent les voies de l'individualisme et du subjectivisme juridiques. D'une part, la doctrine, ne s'interrogeant pas sur le droit de la communauté humaine, atteste, d'un point de vue méthodologique, le primat de l'individu et se donne pour fin d'en préserver le statut juridique. Ainsi, avec Locke et Wolff, se profile la philosophie des droits de l'homme dits de la « première génération », entendus comme les « droits-libertés » de l'individu. Ces droits sont au principe du libéralisme politique, dont la règle maîtresse est que la liberté privée de chacun est opposable à l'État. D'autre part, d'un point de vue axiologique, le jusnaturalisme place l'homme au sommet d'une échelle de valeurs et affirme la capacité d'autonomie du sujet : à lui seul, compris comme personne juridique, est reconnue la capacité d'accomplir des actes de droit en son nom propre, à la différence des autres êtres de la nature. Le sujet de droit prend la connotation normative que commande sa responsabilité : il est le substrat du devoir-être, c'est-à-dire de l'obligation et de la sanction.

En renvoyant à la dimension active du sujet, le jusnaturalisme devient si nuancé que rebondit la querelle de ses origines. Mais rationalisme et volontarisme – complémentaires et non opposés – sont la matrice philosophique d'une normativité a priori, non conventionnaliste, dont Montesquieu a livré la clé : « Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux » (De l'esprit des lois, I, 1). Certes, le droit naturel est par soi dépourvu d'effectivité. Il a besoin, comme le montre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et comme l'explique Kant dans sa Doctrine du droit (Métaphysique des mœurs, Ire partie), de la caution du droit positif pour accéder à l'efficience juridique. Mais, par son potentiel de juridicité, la théorie jusnaturaliste exprime l'idéalité des valeurs dont nul appareil juridique ne peut se passer : elle indique de la sorte l'impossibilité de tirer des faits ou de l'histoire la normativité régulatrice de la condition humaine. La démarche critique suivie par Kant a mis en évidence l'exigence[...]

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