JUSQU'À QUAND ? POUR EN FINIR AVEC LES CRISES FINANCIÈRES (F. Lordon) Fiche de lecture
Publié en octobre 2008, ce livre de 220 pages, dont le manuscrit a été remis fin août à l'éditeur Raison d'agir, a donc été achevé à un moment fort d'une crise encore qualifiée de crise financière mais dont le caractère plus global commençait à apparaître aux plus lucides, tandis que d'autres, omniprésents dans les médias, affirmaient imperturbablement qu'elle était sous contrôle. Relisant les épreuves le 22 septembre, l'auteur y ajoute deux pages d'avant-propos. Entre le 10 et le 20 septembre, en effet, l'histoire s'est brusquement accélérée. Les montants d'argent public injecté ou promis sous des formes diverses pour des sauvetages urgents de banques et d'institutions de crédit passent en dix jours de quelques dizaines de milliards de dollars à plusieurs centaines aux États-Unis. Le reste du monde suivra. « Dépassé avant même parution ? », se demande Frédéric Lordon. On comprend qu'il réponde par la négative… Mais, le livre refermé, on a de bonnes raisons d'accepter cette réponse. Il déroule en effet un cours brillant d'histoire économique, sociale et comportementale d'une finance à la fois déréglementée, « structurée » par des outils sophistiqués, et pourtant mue par des croyances collectives dont l'apparente solidité à un moment peut s'effondrer brutalement. Cette histoire et ses enseignements vont au-delà des événements de 2008, et elle commence bien avant. Au centre de ce livre, il y a non pas la crise, mais les crises d'un capitalisme contemporain où la finance libéralisée détient à la fois le pouvoir économique et le principal pouvoir de nuisance sur l'économie.
Frédéric Lordon, né en 1962, directeur de recherche au CNRS à Strasbourg, est un économiste bien connu des lecteurs du Monde diplomatique. Comme théoricien, il s'inscrit dans le cadre de l'école de la « régulation », dont les principaux fondateurs ont été Robert Boyer et Michel Aglietta, et dans un courant d'anthropologie économique et sociale qui, dans son cas, s'inspire de Spinoza. Le fonctionnement du capitalisme financiarisé est l'objet de deux de ses ouvrages « militants » antérieurs : Fonds de pension, piège à cons, en 2000, et Et la vertu sauvera le monde, en 2003, tous les deux publiés par Raisons d'agir, maison d'édition créée en 1995 autour de Pierre Bourdieu. Avec ce troisième ouvrage, il ne débarque donc pas en terre inconnue, mais il va beaucoup plus loin dans l'analyse des mécanismes et des logiques des marchés financiers, sans doute parce que, depuis le début des années 2000, les choses ont évolué, expliquant une propagation sans précédent de la crise dans le monde et dans tous les compartiments d'activité.
L'analyse de l'auteur est originale à plus d'un titre. Elle l'est par l'alliance constante du style d'un polémiste souvent drôle et d'une connaissance intime du jeu des acteurs et institutions de la finance. Elle l'est parce que le thème directeur d'une finance libéralisée plus ou moins invariante dans ses principes est décliné en laissant toute leur place aux spécificités de chaque crise. Elle l'est aussi parce que cette finance n'est pas seulement un système macroéconomique abstrait mais un système d'acteurs qui prennent vie et dont les comportements, finement décrits dans des études de cas sans équivalent, revêtent autant d'importance que les contraintes de leurs jeux – une « concurrence toxique » –, la cupidité commune, et les croyances qui les font souvent ressembler à des moutons de Panurge hautement diplômés. Le tout avec la bénédiction d'agences de notation dont la faillite éclate au grand jour lorsque se produit l'inversion de tendance. L'injonction morale n'a alors pas plus[...]
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Écrit par
- Jean GADREY : professeur honoraire à l'université de Lille-I