JUSTE LA FIN DU MONDE (J.-L. Lagarce) Fiche de lecture
Créée le 1er octobre 1999, quatre ans après la mort de Jean-Luc Lagarce (1957-1995), par Joël Jouanneau au théâtre Vidy-Lausanne, la pièce Juste la fin du monde est entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2008, dans une mise en scène de Michel Raskine. Elle a fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Xavier Dolan, qui a obtenu le grand prix du festival de Cannes 2016. Étudiée au lycée et à l’université, elle a été traduite en une trentaine de langues et est régulièrement montée à l’étranger, un succès post-mortem pour Jean-Luc Lagarce, célébré en son temps comme metteur en scène mais trop méconnu comme auteur.
Lauréat de la Villa Médicis hors les murs, l’auteur réside à Berlin en 1990 lorsqu’il écrit un texte inspiré par Mes parents d’Hervé Guibert, entre désaveu et tendresse à l’égard du monde familial. De tonalité autobiographique, Juste la fin du monde est donc une pièce testamentaire d’un auteur de théâtre qui se sait atteint par le sida, maladie dont on ne se relève pas alors.
Dans le cercle familial
Louis, l’aîné, revient chez les siens pour leur apprendre sa disparition prochaine. Ces retrouvailles avec le cercle familial – la Mère, Antoine, le cadet, et son épouse Catherine, Suzanne la benjamine – vont faire ressurgir l’amour non exprimé sous les mêmes désaccords. Le fils achèvera sa visite sans avoir pu annoncer sa mort à venir.
La pièce, courte et intense, est composée d’un prologue, d’une première partie de onze scènes, d’un intermède avec neuf échanges brefs, d’une deuxième partie de trois grandes scènes et d’un épilogue. Comme dans la parabole du fils prodigue, Louis revient sur ses traces pour éprouver la qualité du refuge originel où il a grandi. À la manière d’un narrateur, il expose d’abord la décision qui motive son retour, « être l’unique messager » de sa mort, pensant pouvoir contrôler les règles de la représentation, être le metteur en scène de la situation, en observant d’un côté sa famille et, de l’autre, en se faisant le porte-parole de sa propre conscience tournée vers le public auquel il s’adresse en aparté.
Dans la première partie, la benjamine Suzanne, enthousiaste et volubile, présente au nouveau venu l’épouse d’Antoine, Catherine, qu’il n’a jamais rencontrée. Un peu gênée, celle-ci évoque ses enfants et particulièrement le prénom du second, Louis, voulu par Antoine : prénom du fils aîné mais aussi du père décédé. Suzanne s’étonne de la longue absence fraternelle, partagée qu’elle est entre un sentiment d’admiration pour l’écrivain parti au loin et l’indifférence qu’exprimaient ses lettres elliptiques. De son côté, la Mère raconte l’enfance, le rituel des sorties dominicales avec le père, les pique-niques et les chamailleries entre les deux frères. Les propos légers et comme inoffensifs n’en restent pas moins lourds de sens.
Au cœur de ces échanges, Louis, resté seul, exprime sa crainte de l’abandon, comme il a abandonné les siens, sa peur de la solitude et du manque d’amour. Plus tard, Catherine lui décrit la profession modeste d’Antoine dont il s’est peu préoccupé.
La Mère prend alors longuement la parole, comme si elle pressentait la destinée de Louis, nullement dupe de son retour inopiné, lui demandant d’encourager Antoine et Suzanne, qui aimeraient être incités à vivre libres, loin du fardeau de la responsabilité maternelle : « Ils deviendraient à leur tour enfin des tricheurs, à part entière. »
Louis, seul à nouveau, évoque sa mort à venir, entre sursauts d’activité, rêves de voyage et angoisse sourde. Suit une longue scène d’échanges entre Antoine et Louis qui sollicite son attention. Le frère cadet, sur la défensive, manifeste sa réticence, rappelant à son aîné ses mensonges et ses inventions de faussaire pour l’« attraper », des lâchetés reconnues et dues encore une[...]
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
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