JUSTE LA FIN DU MONDE (J.-L. Lagarce) Fiche de lecture
La parole empêchée
La langue élémentaire, répétitive et sinueuse de Jean-Luc Lagarce s’inscrit dans l’exploration patiente d’un dévoilement intime, scandant les étapes d’une élucidation. Une parole affective qui s’accomplit par-delà le doute et l’incertain : « Tout ton soi-disant malheur n’est qu’une façon que tu as,/que tu as toujours eue et que tu auras toujours,/car tu le voudrais, tu ne saurais plus t’en défaire, tu es pris à ce rôle,/que tu as et que tu as toujours eue de tricher,/de te protéger et de fuir. » Oscillant entre mélancolie et ironie et, selon les personnages, entre lyrisme et pathétique, la parole s’élance avant de se rétracter, décalée, pour réajuster son propos, entre reprises, repentirs, variations et ajouts dialectiques. La prose poétique devient sortilège et incantation. Dans l’épilogue, l’aîné va vers la mort avec le regret de n’avoir pas hurlé, une bonne fois, son désir de vivre, quand il cheminait seul sur un viaduc au-dessus de la vallée, une nuit de vacances. « Après, ce que je fais,/je pars./Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,/une année tout au plus. »
Dans Juste la fin du monde, chacun aura parlé à la place de l’autre, la benjamine pour son frère et sa belle-sœur, celle-ci pour son mari, la Mère pour le cadet et pour la benjamine. Louis échoue à se livrer, tout comme Antoine à exprimer ses émotions comme il le voudrait.
Dans l’espace le plus juste possible entre la pensée et la parole, le verbe se déploie à travers les thèmes de la sincérité et de l’hypocrisie, de la vérité contrariée et du mensonge. L’auteur use d’un langage rigoureux et loyal pour communiquer à l’autre ce qu’on se dit à soi dans la peur de la solitude, tout rêve celé dans les silences.
La pièce, très appréciée par les cours d’art dramatique comme par les créateurs, est souvent montée, ainsi par Félicité Chaton en 2020 au théâtre l’Échangeur à Bagnolet. Avec une résonance tchékhovienne, elle est emblématique de la transposition romancée d’une expérience intime qui a valeur universelle.
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
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