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JUSTICE Justice politique

Juger les hommes au pouvoir

L'apparition des principes démocratiques, à partir du xviiie siècle, a donné à certaines assemblées ou juridictions une fonction de contre-pouvoir face à l'exécutif : il s'agissait de rendre les gouvernants responsables de leurs actes.

La plupart des démocraties classiques mettent en œuvre une procédure spéciale mettant en jeu la responsabilité pénale des titulaires du pouvoir. C'est en Grande-Bretagne qu'est née au xviie siècle la procédure d'impeachment – reprise par la Constitution des États-Unis en 1787 –, consistant à confier leur poursuite et leur jugement aux assemblées représentatives. Toujours en Grande-Bretagne, cette première responsabilité pénale, qui est susceptible d'entraîner la condamnation à mort des accusés, a progressivement disparu au profit de la responsabilité politique de type parlementaire, système qui s'est répandu en Europe au cours du xixe siècle. En raison du besoin constant de contre-pouvoir, les procédures exceptionnelles et désuètes d'engagement de la responsabilité pénale des hommes politiques restent aujourd'hui seulement complémentaires d'une responsabilité politique elle-même de plus en plus atténuée, les assemblées représentatives n'ayant plus qu'un contrôle limité sur les exécutifs.

Le caractère spécifique de cette justice politique résulte du fait que les crimes ou délits commis ont pour auteurs des personnes investies de grands pouvoirs et d'une autorité plus ou moins sacralisée (les chefs d'État ou de gouvernement) : par contrecoup, le corps social tout entier peut être mis en cause. La sanction de ce type d'infraction exige une justice affranchie de l'influence politique de ces justiciables ; elle doit avoir un caractère national, pour échapper aux pressions locales ou minoritaires, et solennel, pour acquérir une fonction exemplaire.

Alors que la procédure de responsabilité politique, ne provoquant que la démission, entraîne plus une rotation du personnel politique qu'un véritable renouvellement et consacre une sorte de reconnaissance du droit à l'erreur politique, quel qu'en soit le coût social, la procédure pénale prévoit une quasi-élimination politique de la personnalité par une sanction infiniment plus lourde.

Toutefois, ce type de responsabilité n'est pas purement pénal, elle est tout autant sinon plus de nature politique. Dans le cas des chefs d'État, représentants suprêmes de la souveraineté, la possibilité de mise en accusation est souvent limitée à des crimes tels que la « haute trahison », cette notion n'étant pas définie. Elle est laissée à la libre interprétation de la juridiction compétente et des assemblées statuant sur la mise en accusation.

En France, l'article 68 de la Constitution de la Ve République a prévu, comme l'avaient déjà institué la IIIe et IVe République, une Haute Cour de justice, composée d'élus des deux chambres, compétents pour juger le président de la République pour crime de haute trahison, et les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions et en cas de complot contre la sûreté de l'État. Depuis une réforme constitutionnelle intervenue le 27 juillet 1993, tentant de répondre à l'imbroglio juridique déclenché par l'affaire du sang contaminé, les membres du gouvernement répondent des crimes et délits commis durant leurs fonctions devant une nouvelle juridiction politique, la Cour de justice de la République.

Dans une décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a précisé que « pendant la durée de ses fonctions la responsabilité pénale du chef de l'État ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice », élargissant ainsi la compétence de cette juridiction politique à tous les crimes[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de droit public à l'université de Nice

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Médias

Giulio Andreotti - crédits : Alberto Roveri/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

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