JUSTICE Justice politique
Juger les opposants au pouvoir
La justice politique conserve sous tous les régimes sa fonction d'agent du pouvoir, visant à affermir l'autorité des gouvernants, parallèlement aux éliminations directes auxquelles aucun État ne renonce définitivement. Les assassinats de Félix Moumié le 16 octobre 1960, de Ben Barka le 29 octobre 1965, et de Henri Curiel le 14 mai 1978, jamais élucidés par la justice, sont restés dans les mémoires. Il faut rappeler aussi tous les « disparus » après interrogatoire au cours de leur internement administratif, comme Maurice Audin arrêté à Alger durant l'été 1957.
Pour juger des opposants politiques, la tendance est de supprimer la distinction entre la sûreté intérieure et la sûreté extérieure : les « actes de nature à nuire à la défense nationale » qui constituent une infraction dans diverses législations, par exemple dans la loi française du 4 juin 1980, permettent en fait de réprimer des actions politiques à des fins essentiellement internes. L'intensité des affrontements politiques entre communistes et anticommunistes dans les années 1930-1940, puis lors du processus de décolonisation, a suscité, on l'a vu, la création de tribunaux d'exception dont la composition et les procédures expéditives furent considérées comme des réponses « ajustées » aux circonstances politiques.
La procédure pénale ordinaire comporte une succession d'actes qui en ralentissent la marche pour le bénéfice des droits de la défense et une publicité (même limitée) qui permet un certain contrôle de l'opinion. Tout irrespect des règles procédurales peut entraîner la nullité de l'ensemble de la procédure. Or, en matière politique, le pouvoir a besoin, au contraire, d'une procédure le plus souvent rapide, limitant le formalisme et les droits de la défense, qu'il s'agisse d'être plus rigoureux que dans les affaires de droit commun ou, à l'inverse, qu'il s'agisse de manifester une indulgence non fondée en droit.
L'essentiel est de faire prononcer une condamnation renforçant « l'autorité » de l'État ou une relaxe exemplaire de nature « pédagogique ». Les objectifs sont divers. Il peut s'agir de condamner un ordre politique au nom d'un autre (« procès de régime » visant à déconsidérer le précédent et à valoriser le nouveau), tel celui de Riom, procès de la IIIe République au nom de l'État français de Vichy, ou ceux du maréchal Pétain et de Laval, procès du régime de Vichy au nom de la IVe République naissante. Il peut être aussi fait le procès d'une idéologie en l'assimilant à une doctrine menaçant l'ordre social établi ou à des conceptions d'origine antinationale et étrangère : est visée plus une catégorie sociale que des individus déterminés. Il peut s'agir de mettre simplement en accusation un comportement politique « inopportun », visant à sanctionner un « échantillon non représentatif » d'une position politique sur une question particulière. Il arrive parfois aussi qu'il s'agisse de mettre en cause les pratiques illicites du monde des affaires ou au contraire de le protéger d'une trop grande rigueur et d'une perte de prestige, atteignant l'ensemble du système social.
Il apparaît en tout état de cause que tous les régimes et tous les gouvernements, situés dans un contexte équivalent réagissent en usant de méthodes analogues, au détriment des droits de la défense et des libertés individuelles ou en interprétant la légalité avec une extrême souplesse, au détriment de l'égalité devant la loi.
Ainsi, dans la période qui suit immédiatement l'exercice de la justice politique, les effets sont positifs pour les gouvernants et négatifs pour les opposants. Une simple condamnation peut stopper une vague de manifestations[...]
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Écrit par
- Robert CHARVIN : professeur agrégé de droit public à l'université de Nice
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