JUSTICE Justice politique
Fonctions et signification de la justice politique
Tout pouvoir cherche à se pérenniser : l'opposition est plus supportée que délibérément respectée. Lorsque, selon l'évaluation faite par les dominants, une opposition dépasse les limites qui lui sont implicitement (et non légalement) reconnues, la répression frappe. La médiation juridictionnelle conforte la légitimité du pouvoir, alors que le recours à de simples mesures administratives fait courir le risque du discrédit tout en auréolant les victimes. En effet, la justice par sa solennité et son ritualisme conserve une part du sacré qui dans l'histoire s'identifiait à l'autorité politique : la « légitimité longue » du droit est plus efficace que la « légitimité courte » du politique.
Sous la IVe République, condamner en correctionnel des militants communistes pour « atteinte à la défense nationale » mais poursuivis pour de simples actes de propagandes anticolonialistes, a une portée « pédagogique » que ne peut avoir une mesure strictement politique (tribunal de Marseille, 4 janvier 1950, ministère de la Défense nationale c. P. Emmanuelli et A. Preziasi, directeurs du journal La Provence nouvelle). Lorsque des militants africains partisans de l'indépendance de leur pays encore colonisé sont condamnés à l'issue d'affrontement avec les forces de l'ordre par une cour d'assises (voir par exemple, en 1950, devant la cour d'assises d'Abidjan, les procès de l'affaire de Kouenougla [40 condamnations] ou celui des incidents de Treichville), la justice consacre la légitimité de la colonisation. Il en est de même avec les appelés condamnés pour avoir refusé de participer aux opérations militaires en Algérie (en 1958, par exemple, 15 jeunes soldats, dont Alban Liechti, totalisèrent 30 ans de prison pour avoir dénoncé la torture et la répression collective pratiquée en Algérie, quatre ans avant la proclamation de l'indépendance). La cause de l'Algérie française est ainsi valorisée par la justice.
Le relais juridictionnel s'apparente à une intervention extérieure aux conflits en cours et présente tous les aspects formels d'une défense de la légalité. Les auteurs de l'infraction politique sanctionnée sont assimilés aux yeux de l'opinion à des délinquants ordinaires. Le pouvoir recherche ainsi, et obtient souvent, la déconsidération de l'adversaire et de sa cause.
Lorsque les gouvernants optent pour la répression directe, la justice n'a plus pour fonction que de la dissimuler, soit en laissant sans réponse les plaintes déposées par les citoyens (plusieurs centaines ont été ignorées à l'issue des violences policières de Charonne en 1960 à Paris), soit en niant la responsabilité de l'État (comme ce fut le cas pour les « disparitions » en Algérie, au Chili, en Argentine, etc.). Les affaires les plus délicates où se trouvent mêlés les services spéciaux de l'État ou d'un État étranger et le banditisme, comme les affaires Gladio (en Italie) ou du S.A.C. (en France) dans les années 1980, sont traitées par la justice en limitant les charges de l'accusation à certains individus, souvent simples exécutants, afin d'éviter la mise en cause des institutions parfois commanditaires. La justice n'est alors plus qu'une administration comme une autre, intégrée au pouvoir exécutif chargé de rendre un service politique aux gouvernants. Que la justice se comporte de façon insuffisamment maniable elle sera contournée par de nouvelles juridictions d'exception composées de juges de « confiance ».
C'est cependant le problème de la corruption qui est l'un des plus complexes que doit résoudre la justice lorsqu'elle met en cause des personnalités politiques et les milieux d'affaires. Un procès en corruption a certes une fonction « purificatrice[...]
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Écrit par
- Robert CHARVIN : professeur agrégé de droit public à l'université de Nice
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