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JUSTICE Justice politique

De l'ordre interne à l'ordre international

La justice est traditionnellement l'une des composantes majeures de la souveraineté de chaque État. Néanmoins, l'intensité des conflits internationaux contemporains et les crimes de guerre commis ont soulevé le problème de la responsabilité de ceux qui les ont ordonnés ou perpétrés.

La fin de la Première Guerre mondiale a posé le principe de la mise en accusation de l'ex-empereur Guillaume II (article 227 du traité de Versailles) ainsi que le jugement des auteurs de crimes de guerre par une juridiction allemande ou militaire interalliée (articles 228-229). Le résultat pratique fut dérisoire : l'ex-empereur ne fut ni extradé ni jugé et 8 condamnations seulement à des peines mineures furent prononcées.

La Société des Nations, malgré divers projets d'institution d'une justice pénale internationale, ne parvint pas à fonder une instance juridictionnelle répressive.

Les Alliés, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, après avoir constitué dès 1942 une commission des crimes de guerre, bénéficiant de l'autorité souveraine sur les vaincus et de la disparition temporaire des États allemand et japonais, fondèrent le Tribunal militaire international de Nuremberg (traité du 8 août 1945) et le Tribunal militaire de Tōkyō pour l'Extrême-Orient (décret de Mac Arthur du 22 janvier 1946), chargés de juger les grands criminels de guerre. Ces deux juridictions ont appliqué la loi pénale internationale fixée par le traité de Paris de 1928 condamnant la guerre d'agression, les Conventions de La Haye (notamment celle de 1907) et de Genève sur les crimes de guerre et les « principes généraux du droit pénal tels qu'ils dérivent du droit pénal de toutes les nations civilisées » sanctionnant les crimes contre l'humanité.

Pour la première fois dans l'histoire des relations internationales, il était admis que la protection par le droit international des représentants de l'État ne saurait s'appliquer à des actes criminels et tout particulièrement au déclenchement de la guerre d'agression. Le Tribunal de Nuremberg a prononcé de lourdes condamnations à l'encontre des principaux dirigeants nazis. Il lui a été cependant reproché d'être une « justice de vainqueurs » et d'avoir prononcé des jugements discriminants (acquittements du ministre nazi de l'Économie Schacht ou du vice-chancelier du Reich von Papen). Appelée à témoigner au procès, Marie-Claude Vaillant-Couturier, résistante et déportée à Auschwitz, a pu déclarer : « Il eût fallu faire le procès du nazisme, du fascisme en général, et non pas ergoter sans fin sur des crimes qu'il faudrait des années pour évoquer tous. » Le Tribunal de Tōkyō fit preuve d'une bien plus grande indulgence, la préoccupation majeure étant de stabiliser la vie politique japonaise face à la menace d'un nouveau conflit avec la Chine et l'U.R.S.S. L'empereur Hiro-Hito et la famille impériale ne furent pas inquiétés. Tous les condamnés à la prison furent remis en liberté dès 1958. La transcription des minutes du procès n'a été réalisée qu'en 1977 par crainte qu'elle ne suscite trop de questions embarrassantes pour les États-Unis pour qui les raisons de « haute politique » l'avaient emporté sur toute considération juridique.

Le procès de Nuremberg - crédits : Fred Ramage/ Getty Images

Le procès de Nuremberg

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Écrit par

  • : professeur agrégé de droit public à l'université de Nice

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Médias

Giulio Andreotti - crédits : Alberto Roveri/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Giulio Andreotti

Fernando Collor de Mello - crédits : Paulo Fridman/ Sygma/ Getty Images

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Procès de Pétain, 1945 - crédits : Keystone/ Getty Images

Procès de Pétain, 1945

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