JUSTICE Les institutions
Tensions
Comme les autres, mais à sa manière, la justice française est confrontée, depuis de nombreuses années, aux conséquences dévastatrices de l'explosion du contentieux. La crise de la justice, que le justiciable ressent principalement à travers la lenteur et le coût des procédures, est pour une large part la contrepartie d'un accès largement démocratisé au droit et à la justice.
La crise de la justice
La crise de la justice française a fait et fait encore couler beaucoup d'encre. « Crise de confiance, crise de croissance, crise de conscience », comme l'a justement résumé le juriste François Terré. Sauf à en modifier l'ordre, ce triple diagnostic peut être retenu.
Crise de croissance
La crise de la justice est d'abord une crise de croissance. Paradoxalement, la justice est avant tout malade de son succès. C'est ce qui la distingue, au-delà des petits bobos endémiques dénoncés de tout temps (lenteur, coût, complexité), de cette autre crise, terrible, qui sévissait dans la société française du xviiie siècle et qui a fait (faut-il le rappeler ?) le lit de la Révolution française. L'explosion continue de la demande judiciaire depuis la fin du xixe siècle, avec une accélération ces vingt dernières années, résulte de la combinaison de plusieurs facteurs : l'augmentation du nombre de justiciables bien sûr (hommes, femmes et enfants, personnes morales de toutes sortes, y compris de droit public, français et étrangers), qui exerce son effet mécanique ; l'inflation législative et réglementaire qui alimente la demande de droit(s), combinée avec l'idéologie de la réparation, qui fait du moindre trouble un dommage appelant un responsable ; l'érosion des solidarités familiales, professionnelles et plus largement institutionnelles (l'école, la commune, l'église) qui contribuaient à la régulation des relations sociales ; sans oublier la démocratisation considérable de l'accès à la justice avec la réforme des systèmes d'aide juridictionnelle. Le problème est que les moyens de l'institution judiciaire n'ont pas progressé proportionnellement à cette demande croissante de justice. Au milieu du xixe siècle, la France comptait environ 6 000 magistrats pour 37 millions de sujets (sans compter les sujets de mécontentement, comme raillait Rochefort). Sait-on bien qu'en 2006 ce chiffre est d'à peine 8 000 pour quelque 62 millions d'habitants ? Sans doute, le budget de la justice a plus que doublé depuis 1980. Mais avec 2,34 p. 100 du budget de la nation en 2007, la justice fait figure de parent pauvre par rapport aux principales justices voisines. Et encore une part très importante de ce budget est-elle obérée par les moyens très importants accordés à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. Comment cette situation ne provoquerait-elle pas, tout à la fois, une crise de confiance, chez les justiciables, et une crise de conscience, chez les gens de justice, singulièrement chez les juges, ces deux crises s'alimentant mutuellement ?
Crise de confiance
Les enquêtes d'opinion disent assez la piètre confiance des Français à l'égard de leur justice, et cette défiance est constante. En 1995, une enquête réalisée à l'initiative du ministère de la Justice classait la justice au dernier rang de l'ensemble des services publics. En 1997, les personnes interrogées étaient encore 77 p. 100 à la trouver coûteuse et 87 p. 100 à la trouver vieillotte, son image d'ensemble étant jugée mauvaise par 66 p. 100. Selon ce même sondage, réalisé par la Sofres, la justice est soumise au pouvoir politique pour 82 p. 100 des personnes interrogées, 73 p. 100 d'entre elles estimant que les juges font preuve de mansuétude envers les élus. Ces derniers chiffres sont proprement stupéfiants car ce soupçon de soumission de la justice au pouvoir[...]
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Écrit par
- Loïc CADIET : agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Médias
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