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JUSTICE (notions de base)

Ce qui est légal, ce qui est légitime

Peut-on pour autant limiter la justice à l’application, fût-elle nuancée, des lois existantes ? La justice relève-t-elle ainsi seulement de ce que l’on dénomme le « droit positif », une dénomination qui recouvre les lois décrétées à un certain moment de l’histoire par un État particulier, que les philosophes ont longtemps opposé au « droit naturel » qui, lui, prétend à l’universalité ? Répondre par l’affirmative à cette question reviendrait à relativiser le Juste qui ne se distinguerait en rien de la « coutume » vantée par Pascal ? Montesquieu (1689-1755), tout en s’attachant à démontrer en quoi le Droit est enraciné dans des cultures particulières, refuse énergiquement la limitation du Juste au droit positif. Il affirme dans De l’esprit des lois (1748) : « Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé un cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux » (livre I, chapitre 1).

Cette recherche d’un fondement naturel de la justice avait été conduite par Platon au livre I de La République. Bien avant de recourir à l’hypothèse d’un « monde des Idées », qui n’interviendra que beaucoup plus tard dans LaRépublique, le philosophe s’efforce de démontrer que, de la justice et de l’injustice, seule la première est universalisable. Il est impossible d’être absolument injuste. « Crois-tu qu’une cité, une armée, une bande de brigands ou de voleurs, ou toute autre société, pourrait mener à bien quelque entreprise si ses membres violaient entre eux les règles de la justice ? » Platon complète un peu plus loin son argumentation en notant : « Ils ne se seraient pas épargnés les uns les autres s’ils eussent été tout à fait injustes ; aussi bien est-il évident qu’il y avait entre eux une certaine justice qui les a empêchés de se nuire mutuellement, dans le temps qu’ils nuisaient à leurs victimes, et qui leur a permis de faire ce qu’ils ont fait. »

Que ce soit en raison de l’impossibilité pointée par Platon d’être absolument injuste, ou du fait de la source métaculturelle de la notion de justice visée par Montesquieu, la justice semble pouvoir prendre appui sur des fondements qui ne dépendent pas uniquement de l’organisation particulière des sociétés. De l’Antigone de Sophocle (495-406 av. J.-C.), qui choisit de s’exposer à la mort plutôt que de respecter une loi lui paraissant inique et qui lui interdirait de donner une sépulture à son frère ayant trahi la cité, jusqu’à L’Homme révolté (1951) d’Albert Camus (1913-1960), l’opposition entre ce qui est légal et ce qui est légitime a traversé les siècles.Pour Camus, « le mouvement de révolte s’appuie, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d’un bon droit, plus exactement l’impression, chez le révolté, qu’il est “en droit de...”. La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison ». Même si ce sentiment d’« avoir raison » peut entraîner des formes de violence qui s’en réclameraient, il paraît impossible de l’effacer de l’esprit des hommes dans lequel il ne cesse de se régénérer.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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