JUSTICE SEIGNEURIALE
La justice seigneuriale proprement dite apparaît avec la seigneurie banale à la fin du xe siècle. Elle dérive de la justice publique franque et de la délégation aux comtes, à l'époque carolingienne, de pouvoirs judiciaires étendus. Elle constitue au Moyen Âge la prérogative politique par excellence, fondement et instrument du pouvoir des seigneurs. Sa compétence recouvre toutes les causes nées sur le territoire de la seigneurie ; elle s'étend donc au civil à tous les habitants, au pénal à tous les délinquants arrêtés sur ce territoire.
La justice seigneuriale se rend à deux niveaux. Le domaine de la haute justice, lorsqu'elle n'était encore appelée que « justice du sang », ne s'étendait guère qu'au pénal : crimes punis de mort, de peines corporelles, etc. Les marques extérieures de la haute justice (pilori, gibet, fourches patibulaires) accuseront longtemps son caractère répressif. Tardivement, au xiie et surtout au xiiie siècle, le rétablissement de l'ordre mettra progressivement fin à l'anarchie féodale et permettra le développement d'un domaine proprement civil s'étendant aux procès importants justifiant le recours au duel judiciaire. À la haute justice s'oppose la basse justice dont le domaine s'étend à toutes les affaires civiles et pénales de moindre importance.
Au xive siècle apparaîtra le degré intermédiaire de la moyenne justice. Si tous les seigneurs banaux ont la basse justice, ils usurpent parfois la haute justice, retenue en principe par un seigneur supérieur. En fait, seuls en France le duc de Normandie et le comte de Flandre sont parvenus au Moyen Âge à éviter cette usurpation.
La cour seigneuriale est présidée par le seigneur, entouré souvent de praticiens, ou par son représentant (bailli, sénéchal, prévôt ou viguier). Les preuves et voies de recours sont très rudimentaires. Malgré les efforts de l'Église, la preuve ordinaire est encore l'ordalie, ce qui constitue un recul par rapport aux conceptions carolingiennes ; pour les procès importants, l'ordalie prend la forme du duel judiciaire. Saint Louis voudra le remplacer par la preuve par écrit ou le témoignage, mais le duel judiciaire ne disparaîtra qu'au xve siècle. La cour seigneuriale ignore l'appel pratiqué par les juridictions ecclésiastiques. Sous le nom d'appel, on ne connaît au Moyen Âge que deux voies de recours, en cas de déni de justice et en cas de violation volontaire du droit, dirigées contre le seigneur lui-même. Le véritable appel pour errement du plaid n'apparaît qu'au xiiie siècle sous l'influence de l'Église. Mais il demeure dirigé contre le juge, et non contre la décision.
De la fin du Moyen Âge à la Révolution, le déclin des justices seigneuriales s'accélère. Dès le xiiie siècle, la justice royale, par son prestige et son autorité, limite la justice du seigneur. Le roi lui enlève progressivement ses justiciables et ses procès, par le biais notamment des cas royaux réservés à la justice royale. À ces restrictions de compétence s'ajoutent la généralisation de l'appel auprès des juges royaux et une sévère réglementation de l'organisation des justices seigneuriales, les seigneurs ne pouvant plus tenir audience et devant rémunérer des agents, en principe expérimentés (bailli, procureur fiscal, sergents, huissiers), chez lesquels s'instaure la vénalité des offices. La qualité parfois médiocre de la justice ainsi rendue accentue le déclin de l'institution et justifie la politique, pratiquée par les rois de France, d'élargissement constant de la justice royale. Malgré des résistances souvent acharnées, dues en partie à son caractère lucratif, la justice seigneuriale est progressivement vidée de son contenu pour ne plus constituer qu'un degré supplémentaire de juridiction, ressenti comme inutile et coûteux.[...]
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Écrit par
- Frédéric BLUCHE : diplômé de l'École pratique des hautes études, assistant à l'université de Paris-II
Classification
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