Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JUSTIFICATION

Théologie occidentale et théologie orientale

En Orient, les grands thèmes pauliniens sur l'universalité du péché et le salut par la foi seule ont eu moins d'importance que les thèmes de Jean sur l'unité de vie entre Christ et les siens, sur la gloire déjà présente de la transfiguration. En revanche, après avoir été une réflexion centrale de l'Ancien et du Nouveau Testament, la justification est devenue le débat classique de la théologie occidentale. Elle le doit surtout à Augustin. Dans sa lutte contre le moine breton Pélage, Augustin retrouve exactement les accents de Paul dans l'Épître aux Romains. Pélage soutenait que Dieu ne peut pas exiger l'impossible de l'homme : « Si l'homme le doit, il le peut ; s'il ne peut pas, il ne le doit pas non plus » (Celestius perf. just., III, 5). Autrement dit, on revient ici de la justification biblique à la justice aristotélicienne. Par sa vertu chrétienne l'homme acquiert son salut. La grâce demeure seulement une aide prévenante, qui incline le cœur à se décider à bien faire. La grâce ne justifie pas sans les œuvres de l'homme, par la force créatrice de sa déclaration d'amnistie. La grâce prépare, assainit, coopère avec le mérite humain.

Augustin, qui a expérimenté l'impuissance de la volonté à sortir du péché et qui a reçu l'illumination de sa libération gratuite, est révolté par ce moralisme de Pélage. À ses yeux, il rend vaine la croix de Jésus-Christ, qui de sauveur est devenu seulement modèle de vertu. Augustin défend donc avec passion la toute-suffisance de l'amour que Dieu nous porte. « De Dieu nous tenons le pouvoir, le vouloir et le faire » (De gratia Christi et de peccato originali, I, iv, 5). De même que l'homme a reçu gratuitement de Dieu l'être, lors de la création, de même il reçoit gratuitement de lui la capacité de bien faire, lors de la rédemption. Tout est grâce, selon le grand enchaînement de décisions et d'exhortations dont Paul a décrit la suite : « Ceux que Dieu a connus d'avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l'image de son Fils, et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés » (Épître aux Romains, viii, 29-30).

Que devient, dira-t-on, la liberté humaine dans cette annonciation du salut totalement effectué par Dieu ? Mais la prédestination n'est pas le déterminisme, ni la vocation la contrainte, ni la justification la passivité. Augustin montre clairement que si Dieu donne tout ce qu'il ordonne, ce qu'il ordonne presse l'homme de répondre par la gratuité de l'amour à l'amour gratuit. Quand, au tribunal de Dieu, Jésus-Christ innocent devient l'accusé et l'exécuté, l'homme, qui se reconnaît coupable et qui se voit épargné, pardonné et aimé, ne peut qu'entrer à son tour dans la dynamique de la justification, qui est de faire grâce, puisque l'on vit soi-même sans aucun mérite. Augustin conclut : « Présente-moi quelqu'un qui aime : il sent ce que je veux dire » (In Evangelium Johannis, xxvi, 5). Contre le moralisme de Pélage, comme aussi contre le déterminisme dualiste des manichéens, Augustin, en défendant la justification comme l'avait fait Paul, a légué à la tradition théologique et philosophique occidentale la notion de la gratuité créatrice.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • AUGUSTINISME

    • Écrit par et
    • 5 574 mots
    C'est essentiellement autour du problème de lajustification que, au xvie siècle, se sont affrontés théologiens catholiques et réformés. Contre une Église qui leur paraît laxiste et corrompue, les réformateurs Luther, Calvin, Zwingli interprètent l'enseignement de l'apôtre Paul...
  • GRÂCE

    • Écrit par
    • 4 086 mots
    ...par sa propre piété, de telle sorte que la fin de cette religion est la glorification aveugle et vaine du bien-pensant, Paul oppose le message radical de la justification par grâce, par le moyen de la foi( Eph., ii, 7-8) : la justification, c'est le rétablissement d'une relation véritable avec Dieu et...
  • KUHN THOMAS (1922-1996)

    • Écrit par
    • 2 882 mots
    • 1 média
    D'abord,Kuhn récuse la distinction de principe entre contexte de justification et contexte de découverte, défendue explicitement par Hans Reichenbach dans Experience and Prediction, et caractéristique de l'empirisme logique en général. La description du fonctionnement de la science montre en...
  • LUTHER MARTIN (1483-1546)

    • Écrit par et
    • 11 988 mots
    • 5 médias
    ...principe théologique. Il faisait ressortir la contradiction existant avec les nombreuses prescriptions ecclésiastiques, qui réglementaient la vie religieuse. Le pape lui-même n'était pas autorisé à prescrire ce qui s'oppose à la Bible et à la doctrine de la justification par la foi, qui en...
  • Afficher les 10 références