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JUSTIFICATION

Débats contemporains

Le débat sur la justification n'est plus au premier plan de la réflexion théologique comme il l'a été durant tant de siècles. L'absence du mot justification dans les tables analytiques du second concile du Vatican est déjà un indice. Deux raisons à cela : d'une part l'homme sécularisé et les croyants eux-mêmes sont moins sensibles au jugement final de l'homme envers son prochain et envers le monde. Si les contemporains de Paul, d'Augustin et de Luther s'interrogeaient passionnément sur la colère et la grâce de Dieu, les hommes d'aujourd'hui reportent leur passion sur la relation avec autrui. Le salut apparaît moins un verdict ultime qu'une décision constante d'écouter, d'agir, d'aimer, au lieu de se refermer, de se lasser et de se laisser aller au non-sens de l'histoire. D'autre part, il est certain que depuis Luther et le concile de Trente les positions respectives se sont rapprochées. Par exemple, le théologien catholique Hans Küng a soutenu que la doctrine de la justification dans la Dogmatique de Karl Barth était authentiquement catholique. L'avenir dira si Hans Küng voit ici juste ou s'il affadit les oppositions. Il demeure que catholiques et protestants se retrouvent unis sur le salut par la grâce seule, grâce qui n'est pas inactive, mais recréatrice de la totalité de la vie.

Une grande contestation s'est élevée dans les années 1970 contre la représentation classique de la justification, où le sacrifice offert par Jésus-Christ vient apaiser la colère de Dieu et permet alors le rachat de l'homme. René Girard, dont les ouvrages se situent au carrefour de l'ethnologie, de la psychanalyse, de la théorie du roman et de l'exégèse biblique, a particulièrement combattu les notions théologiques de sacrifice expiatoire et de substitution rédemptrice. Elles lui apparaissent comme étant des restes de paganisme maintenus par erreur dans la tradition chrétienne : le paganisme consiste en ce que l'homme imagine, à son image, un Dieu assoiffé de vengeance et de sang, un Dieu mercantile, auquel il faudrait payer des dettes interminables, alors que le Dieu des Évangiles serait, au contraire, celui qui aime inconditionnellement et qui préfère la miséricorde à tout sacrifice. Dans cette perspective, que reste-t-il de la justification ? N'avons-nous pas plutôt affaire à une imitation de la non-violence exemplaire manifestée par Jésus de Nazareth sur la terre, pour mettre un terme définitif aux enchaînements des rivalités mimétiques et des vendettas successives qui constituent la trame de l'histoire de l'humanité ?

L'attaque est forte. Elle a connu beaucoup d'échos, y compris dans les milieux chrétiens. Mais elle semble jouer sur le double sens du mot « sacrifice », qui peut signifier marchandage et calcul, mais aussi relation rétablie entre Dieu et sa sainteté, d'une part, l'homme et son péché, de l'autre. Cette attaque montre aussi que l'homme préfère toujours une justice (ou une non-violence), qu'il veut exemplaire, à une justification (ou une substitution), qu'il estime immorale et scandaleuse. Mais alors, en supprimant le scandale, est-on sûr que l'on rend encore vraiment compte du salut, qui vient de Dieu et non de nous ? En tout cas, la doctrine de la justification demeure aujourd'hui au cœur de la réflexion de la théologie sur le cadeau immérité du salut.

Sans la justification, nous demeurons dans le domaine de l'idéalisme, c'est-à-dire de ce qui devrait se vivre. Avec la justification, nous retrouvons le réalisme théologique, où Dieu lui-même fait pour l'homme ce que l'homme ne se fait pas à lui-même. Naturellement, la justification n'est que la porte ouverte gratuitement par Dieu. À l'homme lui-même ensuite de prendre librement et résolument le[...]

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