KABBALE
La kabbale chrétienne
L'expression de kabbale chrétienne désigne un courant d'idées fort complexes qui, depuis le scandale des thèses De omni re scibili de Pic de La Mirandole, à la fin du Quattrocento, se développa avec des fortunes diverses à travers l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas, la Suède, jusqu'à la publication en 1911 de la traduction du Zohar, la bible de la kabbale, à l'instigation d'E. Lafuma-Giraud, qui y trouvait « l'écho d'enseignements et de traditions antérieurs à l'époque de l'avènement du christianisme ». Ce courant intéressa Pascal, les platoniciens de Cambridge, Leibniz, Milton, Goethe, Schelling, avant d'entrer dans le domaine d'un occultisme du plus mauvais aloi, qui fut illustré notamment par Éliphas Lévi, Papus, Aleister Crowley, d'où les recherches suscitées par Gershom Scholem l'ont enfin tiré.
La kabbale chrétienne se manifesta d'abord en Espagne, où des convertis, dans la perspective apologétique du Pugio fidei (« Le Poignard de la foi », xiie s.), cherchèrent, en sollicitant les textes, à prouver la vérité de la religion de Jésus, le Messie. C'est ainsi que le Zohar, donné comme ayant été composé avant le Christ, put être publié par des chrétiens (Crémone, 1559) au moment où l'on détruisait le Talmud.
Ce sont des convertis de ce genre qui entourent JeanPic de La Mirandole (Giovanni Pico della Mirandola, 1463-1494) : son traducteur de textes kabbalistiques, Flavius Mithridates, et Paulus de Heredia, l'inventeur du Gale Razeia (Revelator arcanorum, « Le Révélateur des mystères »), où le dogme de la Trinité apparaît plus clairement que dans le Symbole des Apôtres. L'auteur de l'Heptaplus et des Conclusiones cabalisticae y retrouve, en outre, la source de tous les auteurs favoris de l'Académie platonicienne de Florence : Platon, Hermès Trismégiste, Pythagore et Orphée. Et Léon l'Hébreu, un fils du grand Abrabanel, dans ses Dialoghi d'amore (1502), fait de Platon un kabbaliste.
Johannes Reuchlin (1455-1522), encore mal renseigné sur la kabbale lorsqu'il écrit son De Verbo mirifico (« Le Verbe qui fait des miracles », 1494), révèle, dans le De arte cabalistica (« La Science de la kabbale », 1517), le vrai sens du pythagorisme et impose pour longtemps le Pentagramme du nom de Jésus (YHWSH), qui est le Tétragramme rendu prononçable. Le défenseur des livres hébreux y trouve plus pour entendre les Écritures que dans la scolastique encombrée d'Aristote. Il est soutenu par Paul Rici (Paulus Ricius), un converti qui passe d'Italie en Allemagne et qui a notamment adapté ce compendium de kabbale qu'est le Shaarei Ora (« Les Portes de la lumière », 1515), ainsi que par Petrus Galatinus, un franciscain qui se prend d'ailleurs pour le Pape angélique annoncé par les disciples de Joachim de Flore. Dans son De arcanis catholicae veritatis (« Les Mystères de la vérité catholique », 1518), il reprend l'érudition du Pugio fidei, qui avait trouvé « des perles dans le fumier des rabbins », et propose l'étude du Talmud (que Léon X laissera imprimer par un chrétien, Daniel Bomberg) à la lumière du Gale Razeia, dont il reprend presque le titre pour son propre ouvrage. Un autre défenseur de Reuchlin est Gilles de Viterbe (Egidio da Viterbo, 1465-1532), le général de l'ordre des Ermites de saint Augustin, auquel appartient Luther. Imbu des idées du dominicain Annius de Viterbe (Giovanni Nanni, 1432-1502) sur la civilisation araméenne des Étrusques, entouré de savants juifs, dont le plus célèbre est Élias Levita (1469-1549), Gilles traduit les principaux monuments de la kabbale, où il retrouve le vrai sens de la philosophie italique, dont Virgile fut l'élève ; son traité De litteris sanctis[...]
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Écrit par
- François SECRET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (sciences religieuses)
- Gabrielle SED-RAJNA : directeur de recherche honoraire au C.N.R.S.
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