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KAIFENG [K'AI-FONG]

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Située dans la province chinoise du Henan, au cœur de la grande plaine du Nord et sur la rive sud du fleuve Jaune, Kaifeng (alors appelée Daliang) connaît sa première période de gloire à l'époque des Royaumes combattants : le roi Hui de Wei (qui règne de ~ 370 à ~ 335) y attire les penseurs les plus renommés, tel Mencius, et en fait pour un temps la capitale intellectuelle de la Chine. La ville redevient une bourgade désertée après la destruction du Wei par le futur Qin Shi Huangdi (~ 225). Élevée au rang de préfecture (sous le nom de Bianzhou) à l'époque des dynasties du Sud et du Nord (ive-ve s.), Kaifeng connaît une croissance rapide après l'ouverture du canal de Bian sous les Sui : ce tronçon essentiel du Grand Canal met en communication les centres politiques de Luoyang et Chang'an avec les régions productives de la Huai et du Yangzi, et Bianzhou, située près de la jonction du Canal et du fleuve Jaune, est un point de passage obligé et un dépôt important. Les « commissaires impériaux » (jiedushi) qui y ont leur siège après les rébellions du milieu du viiie siècle sont particulièrement puissants ; l'un d'eux finira d'ailleurs par renverser les Tang au début du xe siècle. Kaifeng est la capitale de la plupart des régimes qui se succèdent au nord pendant les décennies suivantes, avant de devenir celle de l'empire réunifié des Song (960).

La Kaifeng des Song (appelée aussi Bianliang ou Dongjing) est à beaucoup d'égards différente de la Chang'an des Tang, et ces différences reflètent l'évolution du contexte historique. Par contraste avec les sites excentrés et bien défendus de Chang'an ou même de Luoyang, Kaifeng se dresse au milieu de la plaine, à portée des crues dangereuses du fleuve Jaune. La rationalité du choix du site n'est que partiellement stratégique (à bonne distance d'une frontière nord menacée par des royaumes barbares puissants) ; plus significativement, la ville se trouve au centre d'un espace économique où le Sud-Est a acquis une prépondérance définitive. Des quatre grandes voies d'eau artificielles qui l'approvisionnent, le canal de Bian a de loin le plus gros débit : jusqu'à 6 millions de shi de grain par an, assez pour nourrir huit cent mille personnes, ce qui pourrait être la population de Kaifeng à son apogée. Ces canaux apportent aussi le charbon et le minerai qui alimentent une production sidérurgique (à destination militaire) supérieure à celle de l'Angleterre au xviiie siècle. Au plan grandiose et totalement contrôlé de Chang'an, qui symbolisait une domination politique et culturelle aux dimensions de l'Asie, s'oppose la liberté avec laquelle les agents économiques ont rempli et débordé l'espace dessiné par les trois murailles concentriques (mais non parfaitement symétriques) de Kaifeng : la muraille extérieure (30 km), la muraille intérieure correspondant à l'ancienne ville Tang, et la cité impériale. L'État continue d'exercer son monopole sur de nombreux produits (sel, thé, alcools, etc.), mais il n'exerce plus aucun contrôle sur les marchés, lesquels prolifèrent dans toute la ville et fonctionnent jour et nuit.

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Si les guerres et les inondations ont pratiquement oblitéré les traces de la capitale des Song, deux sources permettent de se la représenter de façon extraordinairement concrète. Le Qingming shanghe tu, un rouleau réalisé à la fin des Song du Nord et connu par de nombreuses copies, propose une sorte de travelling conduisant des faubourgs au palais impérial et dépeignant avec minutie la foule qui déambule le jour de la fête du Printemps, les édifices, les boutiques, les ponts sur le Grand Canal... Le Dongjing menghua lu (Rêve des splendeurs de la capitale orientale) est un inventaire nostalgique rédigé peu après la conquête Jin par un habitant de Kaifeng réfugié au sud ; le texte permet de parcourir les avenues au milieu du grouillement de la foule, d'admirer l'opulence des marchés et des quartiers de plaisir, de détailler tout ce qui s'achète et se regarde. Comme Hangzhou après elle, Kaifeng est une ville « moderne », dynamique, avec un style de vie et une culture spécifiques, autonome économiquement sinon politiquement.

Le rideau tombe sur ces splendeurs avec la prise de la ville par les Jürchen (dynastie des Jin) en 1126 et le repli des Song sur la Chine du Sud, marquant la fin d'un de ces cycles urbains qu'ont connus d'autres cités promues au rang de capitale impériale (Chang'an, Luoyang, Hangzhou, Nankin dans une certaine mesure). Avec l'empereur captif, les Jin transfèrent au nord trésors, artistes et techniciens. C'est peu après que s'installe à Kaifeng une petite colonie juive dont Matteo Ricci rencontrera les représentants au début du xviie siècle. Dans les siècles qui suivent, Kaifeng n'est plus qu'un point d'appui administratif et militaire (capitale secondaire sous les Jin, capitale provinciale à partir des Yuan, statut qu'elle perd au profit de Zhengzhou sous la République populaire). Elle perd sa situation de centre économique avec le déplacement du Grand Canal vers l'est sous les Yuan. La ville souffre à plusieurs reprises de calamités naturelles ou humaines. Trois fois assiégée par le rebelle Li Zicheng à la fin des Ming, elle finit par tomber après qu'il l'a engloutie en ouvrant les digues du fleuve Jaune (1643). Kaifeng n'a pas connu de développement économique remarquable au xxe siècle, mais poursuit une longue tradition d'artisanat (tissages, métaux), à quoi s'ajoutent aujourd'hui des industries mécaniques, chimiques et pharmaceutiques. D'après les estimations de 2002, la ville comptait alors 594 800 habitants.

— Pierre-Étienne WILL

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