Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

KĀMA

Mythologie

À la différence des autres « Buts de l'homme » qui, lorsqu'ils sont personnifiés, ne sont guère que des allégories (Dharma, cependant, associé à la mort, a parfois quelque consistance), Kāma est véritablement, dans la mythologie hindoue, une personne divine. Le thème principal, et quasi unique, de la mythologie de Kāma est l'événement qui a valu à ce dieu des corps le nom de « Sans corps », Anaṅga. Si l'on essaie de coordonner les différentes versions que donnent de l'affaire le Rāmāyaṇa, les Purāṇa (voir W. D. O'Flaherty, Hindu Myths) et le Kumārasambhāva de Kālidāsa, on aboutit au schéma que voici :

Satī, l'épouse du dieu Śiva, ne peut supporter la honte que lui cause le comportement méprisant de son père Dakṣa envers son époux : elle se tue en se précipitant dans les flammes. Śiva se retire dans l'Himālaya et s'absorbe dans la concentration ascétique. Près de lui, s'installe, sans qu'il s'en aperçoive, Pārvatī (« la Montagnarde »), fille de Himāvant, c'est-à-dire Himālaya personnifié. Timide, déférente, elle imite Śiva dans l'immobilité de sa posture yogique, espérant ainsi gagner son amour. Cette Pārvatī n'est autre que Satī réincarnée.

Cependant, l'univers est tout entier menacé par un démon nommé Tāraka : personnage d'autant plus redoutable que, par ses austérités ascétiques, il a forcé Brahmā à lui accorder le privilège d'être invulnérable ; seul pourrait le faire mourir un héros né de la semence de Śiva. Mais comment le sperme de Śiva pourrait-il jaillir alors que le dieu s'enferme dans la continence yogique et la contemplation du Soi dans soi-même (selon la version du Saura-Purāṇa) ? Les dieux s'adressent à Kāma, l'invincible dieu du Désir : Kāma possède un arc fait de fleurs, et dont la corde est faite d'abeilles ; il est toujours muni de cinq flèches qu'il est toujours prêt à décocher pour infliger à coup sûr la blessure de l'amour. Kāma, accompagné de son épouse Rati, la Volupté, se rend donc à la résidence de Śiva. Il déjoue la vigilance de Nandin, le gardien de la porte, en se transformant en une brise parfumée venue du Sud, la région de Yama. Reprenant sa forme habituelle, il se poste auprès de Śiva, l'arc bandé. Après une attente de soixante millions d'années, il lance enfin sa flèche. Śiva ouvre ses deux yeux, voit avec plaisir Pārvatī près de lui, mais comprend aussi, à sa grande fureur, que, s'il a pu être tiré de sa méditation, la cause en est Kāma ; il regarde donc tout autour de lui, découvre en effet le dieu archer, et, du troisième œil qu'il a au milieu du front, le réduit en cendres. Apaisé, Śiva se tourne vers Pārvatī, reconnaît ses mérites ascétiques et promet d'exaucer le vœu qu'elle formulera. La réplique de Pārvatī est d'une densité et d'une ambiguïté remarquables, qui étonnent dans les textes si lâches que sont les récits purāṇiques : « Fais que Kāma vive et chauffe le monde. Sans Kāma (ou bien : en dehors de Kāma, c'est-à-dire sans le Désir), je ne désire rien. » Ce que veut Pārvatī, ce n'est donc pas seulement la résurrection du dieu Désir, c'est que soient restaurées les conditions mêmes de l'acte de désirer (et donc les conditions qui rendent possible la formulation de vœux !). Śiva y consent : Kāma vivra, mais dépourvu de corps, Anaṅga. C'est sous cette forme incorporelle, impossible à enfermer dans des limites que désormais l'Archer immatériel fera frémir le monde. Śiva s'unira à Pārvatī. Un fils leur naîtra, Kumāra ou Subrahmaṇya, qui saura donc mettre à mort le démon Tāraka.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

Classification

Médias

Peinture érotique, école rajput - crédits :  Bridgeman Images

Peinture érotique, école rajput

Mariage au Népal - crédits : David Hanson/ The Image Bank/ Getty Images

Mariage au Népal

Autres références

  • INDE (Arts et culture) - L'art

    • Écrit par , et
    • 49 040 mots
    • 67 médias
    ...fondations royales, comme les temples de Khajurāho et de Konārak, persistèrent dans le décor des chars de procession ; elles évoquent au premier abord les enseignements sur l'amour profane prodigués par le Kāmaśāstra (traité relatif au plaisir sous toutes ses formes). Mais elles sont également...
  • TANTRISME

    • Écrit par
    • 9 450 mots
    ...(techniques qu'on trouve aussi dans le bouddhisme tantrique). L'esprit du tantrisme est, en effet, celui de l'utilisation des éléments du monde, notamment du kāma, le désir, pour échapper aux limitations du monde. Il vise aussi, dans certains cas du moins, en violant au maximum les règles du comportement «...