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KĀMA

Cosmogonie et rituel

Certains des textes hindous qui exposent le mythe de Kāma-Anaṅga présentent l'aventure de Kāma comme l'effet lointain d'une malédiction de Brahmā : dans les temps originaires, Brahmā a désiré sa propre fille. Les dieux se sont scandalisés de cet inceste ou de cette ébauche d'inceste ; et Brahmā lui-même, accablé de remords, a maudit ce Kāma qui avait enflammé sa passion : il a appelé sur lui une brûlure mortelle. Et voici maintenant que Śiva, en réduisant en cendres le corps de Kāma, a exaucé son vœu. C'est la raison d'être de Kāma que d'embraser les cœurs. À peine né, il regarde autour de lui et demande : « Qui vais-je enflammer ? » (Kaṃ darpayāmi). C'est pourquoi son nom est aussi Kaṃdarpa (Kathāsaritsāgara, XX, 64). Mais, avant d'être cet ennemi intrépide, Kāma apparaît dans le védisme comme le dieu que l'on offense et que donc il faut apaiser quand on a manqué aux règles de la chasteté : c'est l'Amour qui est lésé quand le sperme d'un homme se déverse ailleurs que dans le réceptacle approprié.

Dans les Brāhmaṇa, qui présentent la genèse comme l'œuvre du dieu Prajāpati, la formule qui revient constamment est : « Prajāpati désira : puissé-je être multiple. » Et ce désir premier n'est pas seulement la cause de la création ; il est aussi le modèle et la source du désir qui nécessairement anime les hommes lorsqu'ils imitent Prajāpati dans son sacrifice créateur, c'est-à-dire lorsqu'eux-mêmes agissent en tant que sacrifiants. Tel est, en effet, le précepte des ritualistes : svargakāmo yajeta « qu'il offre un sacrifice, celui qui a pour désir le ciel ». C'est-à-dire : seul est qualifié pour offrir un sacrifice celui qui désire le fruit que ce sacrifice doit produire. Ce désir, nous disent les exégètes mīmāṃsaka, ne peut être que celui du sacrifiant, non celui du prêtre officiant qui intervient dans le sacrifice comme technicien, comme expert. Mais, d'un autre côté, c'est bien par le désir que le sacrifiant et l'officiant sont liés l'un à l'autre : le sacrifiant veut le ciel, qu'il ne peut obtenir qu'avec l'aide de l'officiant ; l'officiant veut la richesse, qu'il recevra du sacrifiant pour prix de ses services. Tous deux communient dans la célébration de leur désir, image du Désir. C'est le sens de la prière dite Kāmastuti, « louange du désir » (Taittirīya-Brāhmaṇa, II, 5, 9) : « Qui a donné à qui ? [...] Le désir a donné au désir. C'est par le désir que l'on donne, par le désir que l'on prend. Le désir est le preneur, le désir est le donneur. Entre dans cet océan qu'est le désir [...] il n'y a pas de limite au désir, non plus qu'à l'océan... » Or la formule « Qui a donné à qui ? » peut aussi se comprendre comme « Prajāpati a donné à Prajāpati », puisque ka, le pronom interrogatif, est aussi un des noms du dieu, comme l'affirme ce même texte, parmi tant d'autres : « Prajāpati, en vérité, est Qui ? »

Omniprésent, fondateur, identifié au dieu qui est l'origine de toute chose, le Désir, explicitement nommé, est (Ṛg-Veda, X, 129, 4) le moment initial du cosmos et de la pensée. Dans cet hymne qui énonce d'abord « qu'il n'y avait à l'origine ni Être ni Non-Être », le Désir instaure la présence simultanée de l'Être et du Non-Être : « Le désir fut le développement originel [...] la semence première de la conscience. Enquêtant en eux-mêmes, les Poètes surent découvrir par leur réflexion le lien de l'Être dans le Non-Être » (trad. Louis Renou, Hymnes spéculatifs du Veda, p. 125).

— Charles MALAMOUD

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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Médias

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