DAOUD KAMEL (1970- )
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La liberté par les livres
Le sujet du deuxième roman de Kamel Daoud, Zabor ou les psaumes (2017), n’est pas du tout en continuité avec le précédent, sinon qu’il reste dans l’univers du livre, de ce que dit et de ce que peut l’écriture. S’inscrivant pleinement dans le registre de la fiction, l’écrivain y évoque son enfance et son adolescence, et notamment son amour des livres. Il est convaincu qu’eux seuls ont fait de lui ce qu’il est. D’où sa gratitude à leur égard et la volonté de faire leur éloge, véritable sujet de ce roman. Sans doute pour contribuer au plaisir du lecteur, son livre revêt l’allure d’un conte, genre littéraire très présent dans la tradition orientale. Dans cet esprit, le héros-narrateur, Zabor, découvre qu’il a le don de repousser la mort par ses écrits. Il considère que l’ouverture au monde procurée par la littérature, dans sa plus grande diversité, fut sa seule source de salut.
On a pu aussi lire Mes Indépendances, chroniques 2010-2016 (2017), volumineux recueil de cent quatre-vingt-deux chroniques, parues dans la presse, pour la plupart d’entre elles, exprimant souvent des opinions sévères et sans ménagement. Elles concernent en partie les actions criminelles accomplies par le terrorisme islamiste. Le thème central reste l’Algérie, bloquée par le vieillissement et l’immobilisme des hommes au pouvoir. Au-delà de son contenu journalistique, ce recueil peut être considéré comme le « roman de formation » de l’auteur, soutenu par la volonté d’être soi-même.
On tend à rapporter toute œuvre en provenance du monde arabo-musulman à un débat sur l’islam. Zabor ou les psaumes a été souvent présenté comme la dénonciation d’une culture inféodée au Livre par excellence, c’est-à-dire le Coran. Pourtant, par le titre qu’il a choisi, Kamel Daoud témoigne de l’intérêt qu’il lui porte et de la connaissance qu’il en a. Dans le Coran et l’islam, le Livre des Psaumes est appelé le Zabur, et constitue l'un des trois livres cités par Allah avant le Coran, les autres étant la Tawrat (la Torah) et l'Injil (les Évangiles). L’auteur déplore que, dans le monde musulman actuel, on abandonne le discours théologique aux islamistes, trop souvent ignares.
Autour des rapports entre Orient et Occident, l’écrivain a également publié Le Peintre dévorant la femme (2018). À partir des œuvres de Picasso, ce récit, qui mêle fiction et essai, interroge la place du corps et de l’érotisme dans les cultures orientale et occidentale. Ce livre, qui a inauguré la collection « Ma nuit au musée » (Stock), propose une réflexion sur l’art, mais aussi sur les conceptions différentes qu’Orient et Occident peuvent avoir de l’image et de la religion.
Quant au travail consacré à la mémoire de l’Algérie, il se poursuit avec le roman Houris (prix Goncourt 2024), dans lequel Kamel Daoud donne littéralement voix à Aube, une jeune femme rendue muette par une mutilation infligée durant son enfance par des islamistes. L’écrivain revient ici sur la « décennie noire » (1992-2002) au cours de laquelle plusieurs groupes islamistes se sont affrontés avec l’armée nationale, sans épargner les populations civiles. Conduite par Aïssa, libraire et spécialiste de la guerre civile, Aube quitte Oran pour Had Chekala, le village de son enfance où elle a perdu l’usage de ses cordes vocales et assisté à l’assassinat de plusieurs membres de sa famille. Du passé au présent, du silence à la logorrhée, Houris permet à Kamel Daoud de briser le tabou qui entoure ces années de guerre civile en donnant la parole aux victimes.
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Écrit par
- Denise BRAHIMI : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, professeure agrégée des Universités (littérature comparée), université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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