KANNARA ou KANNADA LANGUE & LITTÉRATURE
Le kannara (kannaḍa) est la langue du Karnāţaka, soit, au sud-ouest de la péninsule du Dekkan, la totalité de l'État de Mysore depuis qu'en 1956 on y a rattaché les districts limitrophes où le kannara était majoritaire. La majorité des quarante-deux millions de locuteurs vit dans le Mysore, le reste dans les États voisins.
Langue dravidienne la plus anciennement attestée après le tamoul, le kannara mêle un élément indigène (deśi) partagé avec les autres langues du sud de l'Inde, et un élément de tradition sanskrite (mārga). Celui-ci, dès l'origine, impose ses thèmes et ses techniques, et deux millénaires de production sanskrite continue doublent et modèlent les genres nobles. Au xviie siècle encore, la langue kannara se défend et s'illustre en sanskrit. Sanskrite pour moitié, la grammaire kannara est, pour l'autre moitié, le code d'une langue archaïsante. Érudits, les auteurs ont pour originalité le raffinement : recherche technique, subtilité de l'intrigue, profondeur de la psychologie. Mais le peuple kannara est poète et sa langue un chant continu : la musique « carnatique » a conquis tout le Sud ; formes du drame et chants populaires sont millénaires, les mètres indigènes s'imposent grâce aux grands poètes, expression naturelle du récit et du chant ; les thèmes panindiens se colorent de la mythologie régionale ; les héros sanskrits renaissent sur le sol kannara, qui a aussi son propre merveilleux. Religieuse et régionale (avec une forte conscience dialectale), parfois bigote et sectaire, la littérature kannara porte aussi une mystique universelle et un humanisme individualiste parfois un peu esthète, très moderne d'accent. Terre de folklore, de penseurs, et de grands rhétoriqueurs, le Karnāţaka a une littérature à la mesure de ses mythes, moulant l'hindouisme tout entier sur chaque repli de son sol.
Émergence et tradition grammaticale
L'épigraphie atteste depuis le ve siècle par les inscriptions d'Halmiḍi (450 apr. J.-C.), de Tamaţakollu (500), de Taţţukōţi (700), de Sravaṇabeḷagoḷa, l'émergence progressive de formes littéraires originales sous la tutelle sanskrite. Mais le premier texte littéraire intégralement conservé est un traité d'ornementation poétique Kavirājamārga (Voie royale des poètes) par lequel on connaît la littérature antérieure. Il suit la métrique sanskrite traduisant le Kāvyādarśa de Daṇḍin parfois de très près ; la matière, la versification en quête de sa forme originale par rapport au sanskrit soulignent la dette du kannara à l'égard du sanskrit dès ses premières productions ; l'érudition jaïna contribue ensuite à conserver cette dépendance. En face, le talent inné de la poésie du peuple kannara est proclamé avec orgueil et les formes indigènes de poésie, bedaṇḍe ou cattāṇa, ont leur place à côté des genres dérivés du sanskrit, ainsi qu'un type de composition dite gadyakathā, mélange de prose et de vers un peu analogue au campu sanskrit, qu'on dit parfois originaire du Karnāţaka. Ainsi est ouvert le fécond dialogue entre les formes deśi et mārga, propre aux littératures dravidiennes.
Le Kavirājamārga crée la tradition très riche de la littérature grammaticale et rhétorique. Son abondance et sa qualité qui n'ont d'égales qu'en sanskrit sont un trait essentiel du kannara à toutes les époques. Sur la fin du xe siècle, Nāgarvarma Ier écrit un Océan de prosodie, le Chandōmbuddhi, où chaque strophe est composée dans le mètre qu'elle définit. Au milieu du xiie siècle, un homonyme, Nāgarvarma II, écrit en kannara un art poétique le Kāvyālōkana et en sanskrit une grammaire kannara, le Bhāṣā-bhūṣaṇa, importante contribution à l'histoire de la langue, avec de larges aperçus sur la rhétorique sanskrite. Kēśirāja est l'auteur du[...]
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Écrit par
- François GROS : agrégé de l'Université, directeur de l'École française d'Extrême-Orient
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