KANNARA ou KANNADA LANGUE & LITTÉRATURE
Ferveur et renouveau
Au xiie siècle s'ouvre une ère nouvelle. Le jaïnisme demeure, le vichnouisme se développe, plus volontiers en sanskrit ou en tamoul. Le shivaïsme connaît avec le mouvement viraśaiva une explosion de popularité qui marque la société et le langage même. Sous les Hoysala, les lettres sont à nouveau brillantes dans toutes les confessions et tous les styles. Nāgacandra donne une version jaïn de l'histoire de Rāma (Pampa Rāmāyaṇa), pleine de ferveur religieuse et de psychologie délicate. La tradition savante des jaïns continue en mathématiques, médecine, et dans l'inépuisable domaine de l'hagiographie, et maintenant des controverses. Nēmicandra écrit le premier roman kannara, Līlāvatī, ou comment un prince Kadamba finit par épouser la princesse de ses rêves. Janna domine l'époque, avec le purāṇa d'Anantanātha, et le Yaśōdharacaritre ; à l'exposé de l'éthique jaïn, il joint une franche et subtile peinture de l'amour-passion. Contre le style campu, où la culture sanskrite modèle vocabulaire et figures, il y eut à l'intérieur même du jaïnisme une réaction pour un style plus simple et plus purement kannara avec Nayasēna, et plus tard Aṇḍayya qui entreprit de narrer sans un seul terme sanskrit la lutte de Kama contre Śiva, dans son original Kabbigara Kavya (1235).
Mais c'est surtout le mouvement viraśaiva qui contribua à simplifier la langue et à populariser la littérature, par la prose lyrique des vacana (paroles) destinés à alimenter la dévotion mystique et à répandre la doctrine dans les foules. Le mouvement, réaction mystique contre le formalisme religieux et social, s'adresse volontiers aux plus humbles dans le langage le plus simple et le plus direct. Il commence au xie siècle avec Dāsimayya (1040), et se continue jusqu'au xviiie siècle avec plus de deux cents auteurs recensés, dont plusieurs sont des hommes d'humble origine (tailleur, menuisier, cordonnier...), ou des femmes. Basava (1105-1167) est le plus célèbre, mais sa vie est encombrée de légendes édifiantes ou dénigrée par la contre-propagande jaïn. Brahmane, il sert le prince Kalacuri Bijjala à Mangaḷavāḍa comme trésorier, avant que celui-ci n'usurpe le trône Cālukya de Kalyāṇa. Il centralise peu à peu la recherche spirituelle et les discussions religieuses des autres auteurs de vacana : son neveu Cannabasava, plus théoricien ; Siddharāma, plus tourné vers les œuvres humanitaires ; la poétesse Akkamahādēvi, et surtout Allama Prabhu, d'une grande distinction spirituelle, dont le langage symbolique parfois obscur jusqu'à l'énigme souligne qu'il ne faut pas identifier en totalité cette littérature avec un mouvement populaire, elle a aussi ses raffinements. Harihara écrit dans le style traditionnel son Girijā kalyāṇa, mais recourt au ragaḷe, vers blancs avec refrains, purement kannara, pour célébrer les soixante-trois saints shivaïtes du Sud. Son neveu, Raghavaṅka, est aussi pionnier de la prosodie kannara au service de la cause shivaïte.
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Écrit par
- François GROS : agrégé de l'Université, directeur de l'École française d'Extrême-Orient
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