KARAÏTES, QARAÏTES ou CARAÏTES
La tournure adjectivale « karaïtes » (ou Benè-Miqra, « fils de l'Écriture » ; de l'hébreu qārā : « lire »), repérable dans les midrashim et traduisible par « biblistes » ou « scripturaires », fut adoptée par les (ou imputée aux) épigones d'Anan, le premier fondateur du groupe des karaïtes ; ceux-ci, au sein du judaïsme, devaient s'affirmer et se développer durant des siècles, à l'instar du mouvement que sera, dans l'histoire parallèle du christianisme et bien des siècles plus tard, le protestantisme.
C'est au milieu du viiie siècle qu'à Bagdad le rabbin Anan ben David rompit avec la tradition juive pour proclamer le retour au texte de la Loi : « Étudiez la Loi à fond », telle était sa consigne. Il écrivit un Livre de préceptes qui supplantait chez ses sectateurs, appelés d'abord Ananites, la Mishnah et le Talmud. Ce mouvement s'étendit vite dans les milieux juifs d'Irak et de Perse, puis, à partir du ixe siècle, en Palestine. Par le relais de Constantinople, il devait gagner l'Europe centrale et orientale : il y proliféra avec une fortune variable selon les époques, jusqu'aux trop célèbres persécutions du xxe siècle (deux revues karaïtes existaient alors : l'une, en russe, apparue à Vilna en 1913 ; l'autre, en polonais, à partir de 1924). Aujourd'hui, il ne subsiste plus guère que quelques centaines de karaïtes, implantés dans le monde arabe : au Caire et à Hit, sur l'Euphrate.
Gens du Livre et tenants de la seule Loi écrite (contre les tenants de l'orthodoxie, les rabbanites, qui continuaient à professer aussi, comme nécessaire et connexe, l'autorité de la Loi orale), les karaïtes s'employèrent très tôt à l'étude scientifique de la Bible. De véritables familles de chercheurs se succédèrent du ixe au xiie siècle (citons Daniel al-Kumisi et Sahl ben Masliah). On leur doit de très sérieux commentaires. Particulièrement marquantes sont leurs études sur les prophètes. Les herméneutes karaïtes, héritiers sur ce point de la grande tradition prophétique et des enseignements des maîtres de Qumrān, professaient une véritable théologie de l'illumination, conduisant à voir dans les « scrutateurs de la Loi » (titre également qumrānien) des inspirés. Au service de cette tâche, les karaïtes promurent d'ardentes recherches sur la langue hébraïque ; ils composèrent les premiers grands dictionnaires et grammaires, tel l'important dictionnaire que publia, au xe siècle, Abraham al-Fassi : l'un des premiers et des plus importants travaux de ce genre dans l'histoire de la philologie hébraïque.
On rapproche volontiers des karaïtes, au point de les identifier à eux, les massorètes de la famille ben Asher (Moïse et son fils Aaron). Cette thèse séduisante est soutenue par de bons connaisseurs. Il existe aussi une étroite parenté, littéraire et théologique, entre les travaux exégétiques des grands karaïtes et les manuscrits de Qumrān. Une fois implanté en Palestine, c'est-à-dire une fois organisé, le karaïsme s'imprégna d'une littérature, connue de certains milieux à l'époque, dont le Document de Damas et le Manuel de discipline étaient les éléments dominants. Cependant, à son origine, le karaïsme n'en demeure pas moins un mouvement original, une coupure interne au judaïsme ; il n'est pas seulement la résurgence de courants anciens.
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Écrit par
- André PAUL : bibliste
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