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BLIXEN KAREN (1885-1962)

L'art de raconter

Si Karen Blixen privilégie le genre court – son unique ouvrage de quelque ampleur est La Ferme africaine – elle a su mettre au point des nouvelles, ou des contes, d'une rare élégance et porteurs d'interprétations multiples selon le point de vue que l'on choisit de retenir. C'est son côté « démoniaque » qui explique aussi qu'elle soit un des rares écrivains du Nord à avoir traité avec succès le genre fantastique. Des antiques écrivains du Nord, en effet, elle a retenu d'instinct une dimension capitale : l'impossibilité de ne voir que ce que l'on voit, de n'entendre que ce que l'on entend... La réalité est toujours autre, parce qu'elle est sous-tendue par une vérité autrement grave qui, en quelque sorte, dicte le récit que nous lisons mais suggère simultanément les dimensions profondes, oniriques, du procès en cours. C'est ce non-dit qui dépasse nos contingences et en lequel résident toutes nos fascinations, qu'il importe d'exprimer, de raconter. C'est pourquoi Blixen peut faire dire au cardinal, dans le premier des Nouveaux Contes d'hiver (Last Tales, 1957) : « L'art divin est et restera l'histoire. Au commencement était l'histoire. À la fin, il nous sera permis de l'embrasser du regard et d'en revoir le déroulement, et c'est ce qu'on appelle le Jour du Jugement. »

Comme tant de ses émules scandinaves (la Suédoise Selma Lagerlöf, le Norvégien Knut Hamsun, l'Islandais Halldor Laxness), Karen Blixen a cette voix de conteur inlassable, qui attache et retient. Dès ses débuts littéraires, avec Sept Contes gothiques (Seven Gothic Tales, 1934), d'abord publiés en anglais sous le pseudonyme d'Isak Dinesen, puis traduits par elle-même en danois (Syv fantastiske fortællinger, 1935), elle montre l'admirable facilité avec laquelle elle passe d'une langue à une autre, et sait nous placer face au mythe, dans une sorte de mise en scène baroque qui reste l'un des caractères majeurs de son inspiration. De même, les Contes d'hiver (Winter's tales, 1942, où figure l'un de ses chefs-d'œuvre, L'Histoire du petit mousse) tout comme le roman Les Voies de la vengeance (The Angelic Avengers, rédigé originellement en danois puis traduit en anglais et publié en 1944 sous le pseudonyme de Pierre Andrézel) semblent chercher, en ce monde inhumain, un moyen magique de triompher de l'adversité, tant individuelle que mondiale.

Karen Blixen savait de quoi elle parlait. Journaliste de grand talent, elle avait été chargée en 1940 par le quotidien danois Politiken d'une enquête sur les villes de Londres, Paris et Berlin ; ces textes ainsi que d'autres seront repris dans le volume Samlede Essays (1965), traduit en français en 1987 sous le titre Essais. Y figurent des réflexions sur le mariage qui sont toujours d'une remarquable actualité, ainsi que ses « Daguerréotypes » et des méditations sur l'art. On retiendra plutôt, sans doute, les célèbres Anecdotes du Destin (Skjæbneanekdoter, 1958) qui développent, sous une autre forme, une veine fondamentale de l'inspiration scandinave : la croyance, la révérence envers le destin qui fut sans doute la divinité première des antiques hommes du Nord, au-delà de tout panthéon. C'est dans ce recueil que figure le célébrissime Dîner de Babette (Babettes Gaestebud) porté à l'écran en 1987 par Gabriel Axel, sous le titre Le Festin de Babette.

On ajoutera les textes rassemblés en 1978 en français sous le titre Les Chevaux fantômes et autre contes, qui comprend notamment la longue nouvelle Ehrengard. En 1985, ses Lettres d'Afrique 1914-1931 (Breve fra Afrika 1914-1924, 1925-1931) ont également été publiées en français : elles constituent une source précieuse de renseignements.

Tel est le côté fascinant[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Média

Karen Blixen - crédits : Bettmann/ Getty Images

Karen Blixen

Autres références

  • DANEMARK

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    • 19 519 mots
    • 14 médias
    ...prosateurs, Jacob Paludan (1896-1975), romancier et essayiste. Ils disent tous leur désarroi en face d'un monde sans foi ni loi. Mais la grande Karen Blixen (1885-1962), prosatrice de première force (La Ferme africaine, 1937), domine le paysage, ne serait-ce que par son génie de l'occulte et du fantastique,...
  • LA FERME AFRICAINE, Karen Blixen - Fiche de lecture

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    • 692 mots

    L'adaptation cinématographique de Sydney Pollack en 1986 (Out of Africa) a faussé les perspectives dans lesquelles la Danoise Karen Blixen (1885-1962) rédigea en 1937 ce roman autobiographique. Elle y dépeint sa vie au Kenya et surtout sa découverte de la véritable nature, celle des lieux comme...