HARTMANN KARL AMADEUS (1905-1963)
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Karl Amadeus Hartmann, né à Munich le 2 août 1905, hésite d'abord entre la peinture et la musique (son père Friedrich Richard s'adonne à la peinture et son frère aîné Adolf deviendra un peintre célèbre) ; c'est finalement cette dernière qu'il choisit. Il travaille la composition avec Joseph Haas – un élève de Max Reger – à l'Akademie der Tonkunst de sa ville natale (1924-1929).
Entre 1928 et 1932, il organise, en collaboration avec le groupe d'artistes d'avant-garde Die Juryfreien (« Les Sans-jury »), des concerts dédiés à la musique de son temps. À la fin des années 1920, Hartmann est déjà considéré comme l'un des compositeurs les plus prometteurs de sa génération. Ses premières œuvres – Jazz-Toccata und -Fuge, pour piano (1928), Sonatine, pour piano (1931), Tanzsuite, pour quintette à vents (1931), Burleske Musik, pour vents, percussion et piano (1931) – reflètent les influences du jazz, du dadaïsme, de l'expressionnisme de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité). Socialiste militant, convaincu de la nécessaire interaction entre l'art et le contexte sociopolitique, Hartmann s'affirme rapidement comme un créateur engagé. En témoignent une cantate pour chœur a cappella sur des textes de Johannes Robert Becher – secrétaire de l'Union des écrivains révolutionnaires prolétariens – et Karl Marx (1929), la Messe profane, pour chœur a cappella, sur des textes de Max See (1929-1930), le cycle de cinq opéras de chambre Wachsfigurenkabinett (« Le Cabinet des figures de cire », 1929-1930), sur des livrets du metteur en scène Erich Bormann, proches de l'esthétique développée par Kurt Weill et Bertolt Brecht.
En 1933, Hartmann se lie d'amitié avec le chef d'orchestreHermann Scherchen – lui aussi marxiste convaincu –, qui va profondément l'influencer, et devenir son professeur en même temps que son fidèle interprète et défenseur. Cette même année, il défie une première fois le pouvoir nazi en incluant une mélodie juive traditionnelle dans son Premier Quatuor à cordes « Carillon », dédié à Scherchen. Il dédie son poème symphonique Miserae (1933-1934) – qui sera créé en 1935 lors du festival de Prague de la Société internationale pour la musique contemporaine (S.I.M.C.), sous la direction de Scherchen – aux prisonniers du camp de concentration de Dachau : « Mes amis qui durent subir mille morts, qui reposent pour l'éternité – nous ne vous oublions pas (Dachau 1933-1934). » À son retour de Prague, les autorités nazies lui signifient qu'il lui faudra désormais une autorisation pour sortir d'Allemagne. C'est le début de son « émigration intérieure », car, contrairement à bien d'autres créateurs et intellectuels qui choisiront l'exil, Hartmann décide de rester. Il traduit son angoisse et son horreur d'une Allemagne dans laquelle il ne se reconnaît plus dans son opéra Des Simplicius Simplicissimus Jugend (1934-1935, révisé en 1956-1957 sous le titre Simplicius Simplicissimus), sur un livret de Scherchen, Wolfgang Petzet et lui-même, d'après le roman picaresque Les Aventures de Simplicius Simplicissimus, de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen. Musicalement redevable à l'expressionnisme de la seconde école de Vienne – notamment à Alban Berg –, d'une impressionnante liberté de ton, en fait véritable réquisitoire contre les nazis par le parallèle qui est établi entre les atrocités de la guerre de Trente Ans et celles du IIIe Reich, cet ouvrage, qui ne pouvait évidemment être alors représenté en Allemagne, ne sera créé, sous forme de concert radiophonique, qu'en 1948, et sous forme scénique à Cologne, le 20 octobre 1949. La partition sera remaniée par Hartmann en 1956 et créée dans cette version le 9 juillet 1957 à Mannheim.
De 1933 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Hartmann se retire donc de la vie publique, continue cependant de composer mais ne publie pas ses œuvres. Sa production, qu'il qualifie de Bekenntnismusik (« musique de confession »), reflète par ses titres, sous-titres, dédicaces, sources et emprunts son opposition au IIIe Reich : Miserae, Première Symphonie « Versuch eines Requiems » (« Essai pour un requiem », qui inclut des textes de Walt Whitman dans ses premier et cinquième mouvements, et qui témoigne de l'influence de Mahler, 1935-1936, révisée en 1954-1955), Lamento, cantate sur des poèmes d'Andreas Gryphius, pour soprano et piano (1936-1937, révisée en 1955), Friede Anno '48, cantate de chambre à la mémoire d'Alban Berg, sur des poèmes de Gryphius (1936-1937), Concerto funèbre, pour violon solo et orchestre à cordes (qui cite un chœur hussite, un chant révolutionnaire russe et Ma patrie de Smetana, 1939, révisé en 1959), Sinfonia tragica (1940-1943), qui emprunte à Mahler, Bartók, Stravinski, Berg, Webern et Hindemith...
Entre 1939 et 1945, Hartmann échappe, pour raison de santé, au service armé et au travail obligatoire. En 1941 et 1942, il prend des leçons privées auprès d'Anton von Webern à Vienne ; l'alliance de rigueur structurelle et d'émotion qui caractérise la musique du compositeur autrichien va profondément influencer Hartmann. En 1945, il achève sa Deuxième Sonate pour piano, sous-titrée « 27 avril 1945 », allusion au « fleuve de 20 000 prisonniers de Dachau » qu'il observe les 27 et 28 avril 1945.
Au sortir de la guerre, Hartmann va jouer un rôle déterminant dans la diffusion de la musique contemporaine : en 1946, il fonde à Munich les concerts Musica Viva, qu'il dirigera jusqu'à sa mort, et qui vont faire connaître tous ceux qui, de Mahler à Dallapiccola en passant par Schönberg, Varèse et Messiaen, ont été interdits par les nazis. Il y programmera de jeunes créateurs comme Hans Werner Henze, Luigi Nono ou Pierre Boulez. Il devient en 1953 président de la section allemande de la Société internationale pour la musique contemporaine.
Hartmann se consacre dans un premier temps à la révision d'œuvres écrites durant son exil intérieur, compose le Deuxième Quatuor à cordes (1945-1946) et publie six symphonies : la Deuxième Symphonie « Adagio », en un seul mouvement lent (1945-1946), se souvient d'Alban Berg, avec sa forme en arche évoluant vers un climax puis retournant à son point de départ ; la Troisième Symphonie (1948-1949), ancrée elle aussi dans l'école de Vienne, est en deux mouvements, dont le premier est constitué de deux parties articulées selon le principe du prélude et fugue ; la Quatrième Symphonie, pour orchestre à cordes (1946-1947), reflète les influences de Bartók et de Bruckner ; la Cinquième Symphonie (« Symphonie concertante ») [1950] est issue du Concertino, pour trompette et sept instruments solistes (1933), et son deuxième mouvement, sous-titré « Hommage à Stravinski », rend hommage au Sacre du printemps ; la Sixième Symphonie (1951-1953) est en deux mouvements, dont le second est formé de trois fugues où le thème de la première réapparaît varié dans les thèmes des suivantes.
De 1953 à sa mort, Hartmann se tourne vers de nouvelles méthodes de composition ; il exploite en particulier le système des mètres variables de Boris Blacher dans le Concerto pour piano, vents et percussions (1953) et le Concerto pour alto, piano, vents et percussions (1956). Puis il se consacre à la composition de ses deux dernières symphonies. La Septième Symphonie (1957-1958) est sans doute la plus représentative de son style : avec son contrepoint complexe, elle reflète aussi bien l'influence de Jean-Sébastien Bach que celles de Schönberg et de Webern ; le premier de ses trois mouvements comprend deux répétitions de la séquence fugue, concerto, tutti orchestral, la seconde fugue prenant la forme d'une variation de la première cependant que les concertos présentent des variations du sujet de la fugue, aboutissant à de complexes structures en miroir ; le deuxième est un immense adagio, le troisième un hymne jubilatoire au rythme. La Huitième Symphonie (1960-1962) revient à la forme en deux mouvements ; avec l'unité de son matériau thématique, ses fugues et son principe de la variation continue, elle constitue une sorte de résumé du style symphonique de Hartmann. Il compose en 1960 et 1961 le troisième mouvement, « Ghetto », du cycle Jüdische Chronik, œuvre collective de Hans Werner Henze, Boris Blacher, Paul Dessau et Rudolf Wagner-Régeny, thrène sur les dernières heures du ghetto de Varsovie.
La guerre froide, la révélation des atrocités staliniennes et la recrudescence des totalitarismes dans le monde vont plonger cet humaniste idéaliste dans une profonde amertume dont sa dernière œuvre porte les traces profondes : il s'agit d'une pièce pour baryton et grand orchestre, Gesangsszene (« Scène chantée », 1962-1963), d'après Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, véritable réquisitoire contre une humanité courant à sa perte.
Karl Amadeus Hartmann meurt à Munich, le 5 décembre 1963.
Héritière de la grande tradition symphonique germanique de Bruckner et de Mahler, la musique d'Hartmann apparaît à la fois « classique » par les formes dans lesquelles elle s'inscrit et « baroque » par les visions apocalyptiques et les danses de mort qui la parcourent comme par l'éclectisme de son langage. Spéculatif jusqu'à l'austérité parfois, celui-ci échafaude de monumentales fugues (influencées par Reger) tout en usant avec naturel d'un chromatisme exacerbé, des techniques dodécaphoniques et sérielles, de la polytonalité ou d'une tonalité « élargie ».
On pourra consulter : U. Dibelius dir., Karl Amadeus Hartmann. Komponist im Widerstreit (Bärenreiter, Kassel, 2004) et A. D. McCredie, Karl Amadeus Hartmann. Leben und Werk (Florian Noetzel, Wilhelmshaven, 2004).
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Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
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