BARTH KARL (1886-1968)
L'humanité de Dieu
Le prophète de la crise, du non à l'humanisme libéral, est devenu peu à peu, sans se renier, mais insistant sur d'autres aspects, le dogmaticien du oui de Dieu en Jésus-Christ à la création, à l'engagement dans le monde, à la culture, à l'art. Le siècle envers lequel Karl Barth manifeste étrangement la sympathie la plus profonde se trouve être le xviiie siècle, qui se déroule de Leibniz à Mozart et s'accomplit dans l'optimisme concret de Hegel. Commentant son œuvre passée, Barth écrit en 1956 : « On ne saurait le nier, la théologie évangélique s'était affaissée dans la religion. Elle était devenue anthropocentrique et, en ce sens, humaniste. L'homme ici était démesurément grandi au préjudice de Dieu. Mais, si excellentes qu'aient été nos intentions critiques, les choses ont été dites tout de même d'une manière un peu dure et inhumaine, en partie aussi d'une façon hérétique... Car la divinité, comme telle, a aussi le caractère d'une humanité. En Jésus-Christ, tel que la Bible en témoigne, il n'est pas question d'un Dieu abstrait, c'est-à-dire séparé de l'homme dans sa divinité, éloigné et étranger, qui ne serait donc pas humain, mais en quelque sorte inhumain. » L'œuvre de Barth est ainsi à la fois théologiquement antilibérale, antihumaniste et christologiquement profondément libre et humaine. Citons ici seulement sa grande Histoire de la théologie protestante au XIXe siècle, avec sa préhistoire au xviiie, qui contient des études, encore plus sympathiques que critiques, sur Rousseau, Lessing, Kant, Hegel, Schleiermacher, Strauss et Feuerbach. Essentiellement dogmaticien, Barth est aussi un remarquable historien des idées, un exégète inventif, un pamphlétaire redoutable, et un prédicateur jamais ennuyeux. Son œuvre est systématiquement ordonnée et polyphoniquement accomplie.
Karl Barth a abordé presque tous les grands thèmes théologiques. Les attaques contre lui peuvent se schématiser ainsi :
1. On a critiqué, chez le jeune Barth, le caractère vertical, transcendantaliste, actualiste, existentialiste, événementiel de sa pensée. Prophète inlassable de la liberté de Dieu, il n'aurait pas assez fondé la permanence des institutions, le caractère normatif des textes bibliques, la validité de l'ontologie. Ce sont là des critiques venant des milieux orthodoxes et fondamentalistes de l'Église.
2. En sens inverse, on a reproché au Barth de la maturité d'avoir une réponse théologique à tous les problèmes, de ne pas tenir suffisamment compte des difficultés de la critique historique, de la conceptualité philosophique, ni du contexte culturel. Ce second Barth risquerait de voir le monde à partir de Dieu, en oubliant que nous ne disposons jamais que d'un point de vue limité sur Dieu, à partir de l'homme. Ces critiques contre le caractère global et la majesté du système barthien ne sont pas sans rappeler les critiques que les jeunes hégéliens adressaient, au milieu du xixe siècle, au système de Hegel. Insistant sur la nécessité d'une nouvelle herméneutique, ces critiques viennent des milieux qui sont davantage en contact avec la modernité du monde.
Le caractère opposé des attaques s'explique en partie par l'évolution de l'œuvre de Barth, qui a commencé par une destruction radicale des prétentions humanistes et libérales, avant de s'épanouir comme une réaffirmation aussi radicale de la valeur, de la liberté et de l'humanité que Dieu donne à l'homme en Jésus-Christ. Même aux yeux de ceux qui redoutent le système barthien, l'œuvre de Barth demeure l'événement théologique majeur du xxe siècle.
Après la mort de Barth, son œuvre a connu un bref purgatoire. Comme ce fut le cas pour le système de Hegel après la mort de celui-ci, en 1831, le[...]
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Écrit par
- André DUMAS
: pasteur, président du journal
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