JASPERS KARL (1883-1969)
Karl Jaspers caractérise lui-même, en quelques phrases clefs de son Autobiographie philosophique, les thèmes essentiels de sa pensée et de sa vie, et d'abord l'expérience des situations limites : « L'homme ne prend conscience de son être que dans les situations limites. C'est pourquoi, dès ma jeunesse, j'ai cherché à ne pas me dissimuler le pire. Ce fut l'une des raisons qui me firent choisir la médecine et la psychiatrie : la volonté de connaître la limite des possibilités humaines, de saisir la signification de ce que d'ordinaire on s'efforce de voiler ou d'ignorer. » Jaspers définit ainsi une autre orientation de sa pensée, l'éclairement de la communication : « L'être humain ne se trouve lui-même qu'avec l'autre être humain, et jamais par le seul savoir. Nous ne devenons nous-mêmes que dans la mesure où l'autre devient lui-même, nous ne devenons libres que dans la mesure où l'autre le devient aussi. » Mais, « dans ces deux directions, ajoute-t-il, je ne suis jamais arrivé à un terme ». Enfin, sa philosophie s'éclaire et se déploie en fonction d'une double référence : « C'est à Kierkegaard que je dois le concept d'« existence », dont je me suis servi depuis 1916 pour désigner ce que j'avais jusqu'alors cherché dans la peine et l'inquiétude. Mais tout aussi chargé d'énergie et d'exigence était pour moi le concept de « raison », tel que Kant n'a cessé de l'éclairer. »
Les événements décisifs
Karl Jaspers naquit à Oldenbourg, non loin des côtes de la mer du Nord. Après quelques semestres de droit, il fit ses études de médecine, travailla pendant plusieurs années comme assistant à la clinique psychiatrique de Heidelberg et obtint son doctorat en médecine. Dès 1913, il enseigna la psychologie à la faculté des lettres de Heidelberg, avant de devenir dans cette même faculté professeur de philosophie en 1921.
Privé de sa chaire par le gouvernement national-socialiste en 1937, il reprit ses cours en 1945. En 1948, il quitta Heidelberg pour l'université de Bâle où il enseigna bien au-delà de l'âge de la retraite. Il mourut à Bâle à l'âge de quatre-vingt-six ans.
Trois faits ont marqué de façon décisive sa pensée et sa vie. D'abord la maladie, dont il souffrit dès l'enfance, et qui, selon un diagnostic établi lors de sa dix-huitième année, devait entraîner la mort avant la trentaine. Jaspers apprit à vivre avec sa maladie, à la combattre jour après jour par une thérapeutique appliquée avec une discipline rigoureuse, et il sut mettre au service de son travail les renoncements mêmes qu'elle lui imposait. Ensuite, son mariage. Il avait vingt-quatre ans lorsqu'il rencontra Gertrud Mayer qui allait devenir la compagne de chaque pensée, « la présence d'une âme qui ne dissimulait rien », d'un « sérieux inexorable », capable de « le garder de tout confort moral ». Enfin, l'expérience déchirante de la patrie allemande devenue national-socialiste. Marié à une juive, Jaspers vécut ces années dans l'horreur et sous la menace de la déportation et de la mort. Dès 1933, il espérait la défaite du Reich, en même temps que s'approfondissait son sentiment d'appartenir, ainsi que sa femme, irrévocablement, à l'Allemagne de sa naissance et de sa culture. L'impossibilité même d'agir lui fit approfondir sa réflexion sur les problèmes fondamentaux de l'histoire et de son sens. La pensée politique devint à ses yeux l'épreuve cruciale de toute philosophie.
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Écrit par
- Jeanne HERSCH : professeur honoraire de philosophie à l'université de Genève
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Média
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