KERÉNYI KARL (1897-1973)
Philologue et historien des religions, professeur à l'université de Szeged, Karl Kerényi (Károly Kerényi) est né à Temesvár (la ville appartenait alors à la Hongrie) et s'est fait d'abord connaître par des travaux sur les éléments religieux véhiculés par la littérature romanesque de l'âge hellénistique. Il s'est orienté ensuite vers l'étude des « figures divines » (Apollon, 1937), sous l'influence de Walter F. Otto. Animateur de la revue Albae Vigiliae, qui paraît à Leipzig et à Amsterdam, puis (1940) à Zurich, Kerényi réussit lui-même à s'expatrier en Suisse (1943) et s'installe à Ascona. Il publie, en collaboration avec C. G. Jung, Einführung in das Wesen der Mythologie (1941, éd. définitive trad. en franç., 1953 : Introduction à l'essence de la mythologie). L'influence du penseur zurichois sur Kerényi reste discrète, sauf dans l'emploi de la notion d'archétype et dans une évaluation peut-être excessive du rôle de la « Grande Déesse » dans le monde méditerranéen.
En 1951, il publie Die Mythologie der Griechen (trad. franç. La Mythologie des Grecs), complété en 1958 par Die Heroen der Griechen, où il maintient un certain équilibre entre la thèse de la « saga » et celle qui voit dans nombre de héros des dieux dégradés. Dans ces deux ouvrages, Kerényi tente de narrer les mythes grecs à l'homme d'aujourd'hui sous leur forme native, en se présentant comme un Grec qui parlerait à un étranger et en écartant, sinon tout appareil érudit, du moins toute « interprétation ». De nombreuses études (Le Médecin divin, 1948) ont préparé ou commentent cette synthèse, dont l'apparente simplicité ne relève pas de la vulgarisation. Son essai Umgang mit Göttlichem (1955), dont il emprunte le titre à Goethe, et l'édition définitive de Die antike Religion (trad. franç. 1957 : La Religion antique) livrent la clé de l'œuvre. Très hostile au positivisme, incarné à l'époque par M. P. Nilsson, Kerényi se démarque également de ceux qui, en face des mythes, « n'ont d'intérêt que pour ce qu'ils pensent pouvoir retransformer en préhistoire ou en histoire ». Indifférent, voire ironique à l'égard des tentatives de localisation de L'Odyssée, par exemple, il s'est tenu à l'écart du mouvement « comparatiste » sans s'interdire quelques exposés analogiques. En fait, Kerényi s'inscrit dans une tradition humaniste qui veut n'ignorer ni Schelling ni Hegel, ni Nietzsche ni Freud, ni même Heidegger (leurs points de contact étant les présocratiques, et Hölderlin, sur qui Kerényi a écrit un essai). De la correspondance qu'il entretint avec Thomas Mann dès avant la guerre, il éditera une partie en 1945 sous le titre : Romandichtung und Mythologie. Trois recueils d'articles, parfois autobiographiques et souvent littéraires, seront du reste publiés de 1966 à 1968. Esprit original, persuadé du « sérieux » des mythes, mais peu porté au mysticisme et épris de clarté, Kerényi s'est intéressé aux documents archéologiques sans jamais renoncer à la primauté des textes : son analyse d'une peinture de la Maison de Livie, interprétée avant lui de façon arbitraire, est à cet égard exemplaire. Se refusant à séparer la religion de la mythologie et celle-ci de la création poétique, Kerényi a beaucoup insisté sur la relation du mythos à un état de transparence solennelle du monde, semblable à certains égards à celui qui est ouvert par la musique. La mythologie (surtout celle des Grecs) apparaît dès lors non comme une traduction des rites et des contraintes sociales, mais comme une réfraction organique, la seule à travers laquelle la mentalité dite à tort archaïque puisse nous parvenir et nous instruire quant à notre propre destinée.
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
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