MORITZ KARL PHILIPP (1727-1793)
Écrivain allemand né à Hameln, le 15 septembre 1727, Karl Philipp Moritz est mort à Berlin le 26 juin 1793. Le milieu modeste où il est né, son enfance pauvre d'apprenti errant sur les routes d'Allemagne l'ont définitivement marqué. Il fréquente tant bien que mal diverses « écoles de latin », voit dans le théâtre le moyen d'une ascension sociale et d'une libération psychologique. Nommé en 1789 professeur d'archéologie à l'Académie des arts de Berlin sur la recommandation de Goethe, il laisse une œuvre théorique immense sur les beaux-arts, la prosodie, de nombreux récits de voyage. On ne peut citer ici que quelques textes comme Über die bildende Nachahmung des Schönen, 1786 (De l'imitation figurative du beau) ; Götterlehre, oder mythologische Dichtungen der Alten, 1791 (Mythologie, ou les Poésies mythologiques des Anciens) ; Versuch einer deutschen Prosodie, 1786 (Essai de prosodie allemande), ce dernier essai annonçant tout à fait les recherches, dans le même domaine, des frères Grimm ou de F. A. Schlegel. L'essentiel de l'œuvre de Karl Philipp Moritz est ailleurs et tient en un seul roman, Anton Reiser, ein psychologischer Roman, publié en quatre parties successives entre 1785 et 1790.
Le seul sous-titre, « roman psychologique », annonce la nouveauté du propos : écrire l'« histoire intérieure » d'un être dont « le sentiment est étouffé par la bourgeoisie ». Le champ d'investigation psychologique et littéraire propre à Moritz est celui d'une introspection douloureuse, prolongeant celle du Jean-Jacques Rousseau des Confessions, d'une oscillation jamais résolue entre ce que Moritz appelle lui-même la contraction et l'extension du moi, le processus de sa décomposition, son « manque d'existence », sa « secabilité ». Karl Philipp Moritz avait subi dès sa petite enfance l'influence du quiétisme de Mme Guyon, dont la doctrine préconise l'extinction du moi pour accéder à Dieu. Il crut dénoncer lucidement les ravages de cette doctrine sur les âmes enfantines comme celle de son « héros » et double, Anton Reiser, mais en réalité il avait tellement intériorisé ces préceptes quiétistes qu'ils le conduisirent aux bornes de la folie.
Le trouble qui naît de la lecture du Reiser tient assurément à la contradiction intrinsèque entre la minutie dans la description des détails sordides de la vie quotidienne (la faim, la soif, etc.) et l'espace de fausse liberté que s'ouvre le vagabond. On retrouve certes dans le Reiser la double pulsion qu'avait décrite Goethe dans son Werther : à la fois le besoin de faire exploser toutes les frontières du moi (et accessoirement de la société), et celui de se réfugier dans la douce idylle bourgeoise que représenterait Charlotte — avec cette différence notable que Reiser ne peut concevoir le sentiment de l'amour ! Incapable par ailleurs de mener à bien ses velléités littéraires, il est condamné par son créateur à l'impuissance et sa seule relation avec le monde, en dehors des pasteurs et des comédiens comme Iffland, est celle qu'il entretient avec quelques amis dont le plus important reçoit le nom significatif de « Philipp Reiser », double inconsistant sans cesse occupé d'amourettes insignifiantes.
Tous ces éléments font d'Anton Reiser un stupéfiant « précis de décomposition » avant la lettre. Cette intrusion du pathologique dans tous les domaines fait de Moritz un novateur dans l'histoire des idées. L'obsession du langage le situe enfin dans l'histoire des formes expressives : « Le langage lui semblait une entrave à l'exercice de la pensée et, pourtant, à l'inverse, il ne pouvait penser sans l'aide du langage. Il lui arrivait de se torturer de longues heures en cherchant s'il était capable de penser sans employer de mots. » Depuis le [...]
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Écrit par
- Michel-François DEMET : maître de conférences agrégé à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
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ANTON REISER, Karl Philipp Moritz - Fiche de lecture
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- 890 mots
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