POPPER KARL RAIMUND (1902-1994)
Une épistémologie non fondationnelle et non subjective
Les énoncés scientifiques ont des bases mais non des fondements. L'opération de réfutation a une base empirique constituée par les énoncés d'observation qui sont logiquement déduits des théories. Seuls les énoncés existentiels se référant à un lieu et un temps déterminés peuvent servir d'énoncés observationnels de base. Ils se rapportent à des objets matériels observables et peuvent être affirmés ou niés comme vrais ou comme faux. Toutefois, il faut noter que, d'une part, tout énoncé de base contesté peut avoir à être testé, d'autre part, qu'il n'y a pas pour Popper de description pure des faits ni d'observation pure : de tels énoncés sont toujours tributaires de nos anticipations, de nos interprétations, de nos théories. On risque ainsi de se trouver dans un problème de circularité.
L'essentiel, en tout cas, n'est certes pas de fonder les sciences, comme le voudrait une épistémologie fondationnelle ou cartésienne. « La sûreté et la justification des prétentions à la connaissance, écrit Popper, ne me concernent pas. Par contre, mon problème est la croissance de la connaissance. » On échappe ainsi et à l'intellectualisme et au sensualisme : ni dans la raison, ni dans les sens, ni nulle part ailleurs, la science n'a de fondations ou de sources infaillibles. Il faut abandonner la métaphore de l'« édifice » de la connaissance tout comme la quête de la certitude et la recherche du point de départ adéquat. Nous sommes bien plutôt « embarqués », et la métaphore la plus apte à décrire notre situation cognitive serait celle qu'offre O. von Neurath : il faut réparer le bateau en pleine mer et au coup par coup.
Non contente de rechercher la fondationnalité, l'épistémologie traditionnelle – aussi bien celle du sens commun que celle de l'empirisme classique de Locke, de Berkeley, de Hume, ou celle de l'empirisme moderne de Russell, de Moore et des néo-positivistes – commet l'erreur de prétendre trouver les fondements en question dans la subjectivité. Tous « partagent avec Descartes cette opinion que les expériences subjectives sont particulièrement assurées et constituent pour cela un point de départ solide ou une assise adéquate ». Au souci du fondement, Popper oppose celui de la croissance. À la connaissance considérée comme une espèce de croyance subjective, il oppose la connaissance objective. C'est pour la décrire de manière plus frappante (et non pour un motif métaphysique) qu'il forge l'expression de « troisième monde », monde platonicien (ou bolzanien) des livres en soi, des théories en soi, des problèmes en soi, des situations problématiques en soi, etc. Plus kantien en fait que platonicien, Popper apporte cette précision : « Quoique le troisième monde soit un produit humain, une création humaine, il crée à son tour, comme le font les autres produits animaux, son propre domaine d'autonomie. » En ce troisième monde, le progrès et la croissance s'opèrent à partir de problèmes auxquels sont apportés des essais de solutions ; ces solutions, soumises à l'épreuve, s'en trouvant réfutées ou corroborées, apparaissent alors de nouveaux problèmes. Une problématique en expansion, telle est la vision dynamique qui caractérise la perspective poppérienne. Mais la régulation qui s'y effectue est sévère : la rigueur même de la sélection darwinienne partage nos théories en théories caduques, d'une part, et en théories « ayant-jusqu'ici-résisté-à-l'épreuve-des-tests », d'autre part. Là où les tests au sens strict du terme ne sont pas possibles, comme en philosophie, il y a place pour la discussion et l'argumentation rationnelle et critique. Les arguments sont d'importants citoyens du troisième monde et la fonction argumentative du langage, spécifiquement humaine, assure,[...]
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Écrit par
- Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
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