STOCKHAUSEN KARLHEINZ (1928-2007)
Stockhausen est l'homme du refus. Refus de l'héritage admis par esprit de routine, refus d'un confort intellectuel qui va de pair avec l'estime des hommes en place, refus de ses propres conquêtes qui doivent être dépassées avant même d'avoir acquis droit de cité. Là où d'autres cherchent fébrilement la sécurité, il n'admet que le « tout est possible ». Il note, avec un plaisir évident, qu'« il n'y a pas lieu de se leurrer sur le nombre et l'importance des problèmes encore non résolus » et constate, avec une satisfaction encore plus grande, « que rarement une génération de compositeurs a eu entre les mains les atouts de la nôtre, est née à un moment aussi favorable » car « les villes sont rasées, et on peut recommencer par le commencement, sans tenir compte de ruines ni de témoins restés debout d'une époque sans goût ».
Stockhausen préfère les ruines aux charpentes vacillantes. Il ne s'est jamais encombré des idées reçues et s'est passionnément engagé dans les voies périlleuses de l'aventure permanente. Aux avant-postes de la recherche contemporaine, il a indiqué grâce à des créations étonnantes une multiplicité d'approches du problème musical actuel. Il a stimulé toute une génération de musiciens qui ont tenté, non toujours sans essoufflement, de suivre cette course effrénée de l'invention, et semé le trouble dans l'esprit de ceux qui, ayant avec peine compris l'œuvre précédente, ne lui pardonnèrent pas sa fuite en avant. Mais, au-delà du trouble plus ou moins légitime que l'on peut ressentir, au-delà du risque assumé (car les voies de la recherche sont parfois des impasses), une œuvre existe : prodigieusement variée, détentrice d'un puissant pouvoir poétique, chargée d'un message humain qui dépasse singulièrement les procédés, souvent inouïs, d'une syntaxe nouvelle. Une œuvre essentielle dans le paysage musical de notre temps.
Une pensée créatrice
Karlheinz Stockhausen est né en 1928 à Altenberg (Allemagne). Son père, soldat, est porté disparu lors de la Seconde Guerre mondiale, sa mère est victime du programme d'euthanasie des nazis. Dès l'âge de six ans, il aborde le piano et appartient, de 1940 à 1945, à l'orchestre d'élèves de son collège. À partir de 1947, il suit les cours de philosophie, de musicologie et de philologie de l'université de Cologne et travaille à l'académie de musique de cette même ville. En 1951, il participe aux Cours d'été de Darmstadt en compagnie des jeunes pionniers de la nouvelle école et, comme ses camarades, il se rallie d'emblée au grand mouvement de la musique sérielle, né de l'enseignement de l'école de Vienne dont l'inspirateur est Arnold Schönberg et le maître privilégié Anton von Webern. C'est l'époque où il compose Kreuzspiel, pour hautbois, clarinette basse, piano et percussion, œuvre que le public de Darmstadt n'accepte pas sans protestation.
Fasciné par les Viennois, Stockhausen n'en est pas moins impressionné par les acquisitions rythmiques d'Olivier Messiaen ; c'est ainsi qu'il découvre le Mode de valeurs et d'intensités, contribution de Messiaen à la radicalité du message sériel qui conduira à la généralisation de la série aux différents paramètres de la composition musicale. Comme de nombreux compositeurs de sa génération, il suivra, pendant une brève période, les cours d'Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris (1952-1953), et, toujours à Paris, il participera, mais très épisodiquement, aux travaux de Pierre Schaeffer, au studio de musique concrète de la Radio-Télévision française. Stockhausen compose alors quelques partitions qui révèlent la nécessité profonde d'un système sériel généralisé : Spiel, pour orchestre, les[...]
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Écrit par
- Claude SAMUEL
: critique musical au
Point et auMatin , directeur du centre Acanthes, Paris
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Média
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