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STOCKHAUSEN KARLHEINZ (1928-2007)

Les expériences

Ces quelques aspects de la pensée créatrice de Stockhausen permettent déjà de saisir, dès le départ de son parcours, l'acuité de son invention. Mais cette étape est à nouveau rapidement franchie et, le 28 juillet 1957, il livre au public de Darmstadt une œuvre lourde de conséquences : son Klavierstück XI, contemporain de la Troisième Sonate de Pierre Boulez et analogue dans sa démarche. En effet, le Klavierstück XI rompt avec les rigueurs de l'ultra-prévu en adoptant le principe d'une forme ouverte aux parcours multiples. La partition se présente comme un placard rectangulaire de 53 centimètres sur 93 centimètres et comporte dix-neuf groupes de notes. « L'interprète, indique le compositeur, jette un regard sur le feuillet de papier et commence par le premier groupe qui lui tombe sous les yeux ; il a toute liberté de régler à sa guise la rapidité de son jeu (à l'exception toujours des notes imprimées en petits caractères), l'intensité de base et la forme de l'attaque. Une fois le premier groupe achevé, il lit les indications subséquentes, relatives à la rapidité, à l'intensité fondamentale et à la forme d'attaque, prend au hasard l'un quelconque des autres groupes, et se conforme en le jouant à ces trois directives. »

On s'est beaucoup interrogé sur le sens de l'irruption des musiques « aléatoires » dans un monde musical où chaque geste avait visé jusqu'alors à mieux contrôler le moindre détail, et on a évoqué quelques exemples, dont celui de John Cage. En vérité, si des créateurs comme Stockhausen et Boulez ont ressenti la nécessité de la forme ouverte, et si tant de compositeurs ont ensuite emboîté le pas, c'est en une réaction évidente contre l'abstraction desséchante d'un enseignement post-schönbergien poussé dans ses extrêmes conséquences. On peut dire qu'en 1957 un des chapitres de la musique sérielle est clos.

Quant à Stockhausen, il poursuit la spatialisation de sa musique : Gruppen pour trois orchestres et Carré pour quatre orchestres et chœurs (1960) ; puis il réalise la superposition du son instrumental et de la musique électronique (Kontakte pour piano, batterie et bande en 1960) avant d'envisager une vaste synthèse où se retrouvent des formes ouvertes, des collages-citations et une répartition spatialisée du matériau sonore dans une de ses œuvres les plus étranges et les plus fascinantes : Momente II pour soprano, quatre chœurs et treize instruments.

C'est alors que Stockhausen réévalue radicalement l'apport électronique dont il avait été quelques années auparavant un des promoteurs ; il substitue à l'inertie de la bande magnétique la transformation instantanée du son grâce au jeu de filtres, de potentiomètres, de modulateurs en anneau et microphones, et, du même coup, devient le « metteur en scène » d'une œuvre qui se modifie à chaque instant au gré des interprètes. C'est Mikrophonie I et II, Mixtur pour 5 groupes d'orchestre et modulateurs, Prozession et, surtout, Hymnen (1968), pour son électroniques et concrets, construit à partir d'une quarantaine d'hymnes nationaux. L'auditeur, connaissant ces mélodies, peut être sensible au « comment » de leur transformation électronique.

Une nouvelle esthétique se dessine, une esthétique de la subjectivité, du lyrisme et de l'onirisme qui permet de mesurer le chemin parcouru depuis les épures de Zeitmasze ; esthétique jalonnée de partitions aux accents obsessionnels, telles Stimmung pour six chanteurs (1968), qui fut chorégraphié avec bonheur par Maurice Béjart, Mantra pour deux pianos avec électronique et Trans (1971), où la musique baignée dans une lumière violette est ponctuée du bruit d'un métier à tisser, tandis que, plus tard, le Helikopter Quartett (créé en 1995 par le Quatuor[...]

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Écrit par

  • : critique musical au Point et au Matin, directeur du centre Acanthes, Paris

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Média

Karlheinz Stockhausen - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Karlheinz Stockhausen

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