JEAN-PAUL II, KAROL WOJTYLA (1920-2005) pape (1978-2005)
L'héritage conciliaire
Il a vite été clair que les questions liées à la réforme interne de l'Église, champ de bataille du concile, n'entraient pas en priorité dans la vision du nouveau pape : la ligne de la « médiation » proposée par les pères conciliaires est remplacée par celle du défi radical à la « raison » moderne, prenant sa source dans un modèle de spiritualité catholique qui se nourrit de la mystique de saint Jean de la Croix et de la piété mariale héritée de la Contre-Réforme polonaise.
Avec le soutien du cardinal allemand Joseph Ratzinger, ex-théologien de l'aile progressiste, Jean-Paul II se livre à une relecture personnelle de l'héritage du concile, auquel il avait participé sur des positions modérées. S'il n'hésite pas, en 1988, à déclarer schismatique la secte traditionaliste de Mgr Lefebvre, il accepte aussi de négocier son retour dans l'Église au prix d'une reconnaissance de la messe selon le rite de Pie V (1570), au détriment de l'autorité de la réforme liturgique conciliaire. Cette dernière sera même explicitement remise en cause par l'encyclique Ecclesiade Eucharistiavivit, en 2002. La question qui l'intéresse par-dessus tout, c'est le destin du message chrétien dans la modernité sécularisée. Son objectif est de rompre l'assaut conjoint de l'athéisme communiste et capitaliste, en conduisant l'Église, gardienne et dispensatrice du salut, au cœur du débat public, sur le terrain civique et anthropologique de sociétés temporelles en pleine « crise des valeurs ».
La « nouvelle évangélisation » et le « troisième millénaire » sont les thèmes fondamentaux sur lesquels son pontificat tente de greffer les motifs classiques d'une chrétienté fondée sur une identité ecclésiale nettement définie : un magistère à l'ample rayonnement, une exaltation de l'image solitaire du pape, aux dépens de la réforme collégiale du gouvernement de l'Église, le renforcement de la structure pyramidale et du rôle hégémonique du clergé sur le « peuple de Dieu ». Pour ce faire, Jean-Paul II s'appuie largement sur la contribution de mouvements tels que l'Opus Dei (dont il canonise en un temps record le fondateur, Escrivà de Balaguer), les Légionnaires du Christ, Communion et Libération, Chemin néo-catéchuménal, capables, tout comme lui, d'articuler maximalisme spirituel, conservatisme doctrinal, activisme, sens politique et capacité de pénétration des couches dirigeantes. L'objectif est typique de la ligne intransigeante qui alimentait le catholicisme nationaliste polonais dans sa résistance contre le communisme : une nouvelle apologétique sociale, cette fois-ci à l'échelle mondiale, pour projeter le message chrétien sur les enjeux de la modernité, réagir au cantonnement du religieux dans le for intérieur et affirmer, au contraire, la dimension publique de la foi chrétienne.
Dans ce contexte, les questions critiques sont éclipsées d'office, qu'il s'agisse des apports culturels extra-européens au message chrétien ou du célibat des prêtres (dont la crise s'aggrave), de l'élargissement des ministères ordonnés ou du statut des théologiens, de la pratique pénitentielle ou de la communion aux divorcés, de la discipline du mariage (demeurée telle qu'au concile de Trente) ou des questions d'éthique sur la sexualité. À ce catalogue de l'intransigeance fait exception l'approche innovante de Jean-Paul II sur la question des femmes, en particulier avec l'encyclique Mulierisdignitatem (1988), même si celle-ci continue de refuser le sacerdoce aux femmes.
Les Églises locales, majoritairement engagées dans le processus de réforme conciliaire, sont rappelées à l'ordre et rééquilibrées soit par le jeu des nominations épiscopales, soit autoritairement. Il en va ainsi[...]
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Écrit par
- Jean-Claude PETIT : journaliste-écrivain, président du Centre national de la presse catholique
- Giancarlo ZIZOLA : professeur d'éthique de l'information à l'université de Padoue, correspondant de presse accrédité auprès du Saint-Siège depuis 1961
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