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JEAN-PAUL II, KAROL WOJTYLA (1920-2005) pape (1978-2005)

Une éthique supérieure aux lois du marché et de l'État

L'Académie des sciences sociales, que Jean-Paul II installe au Vatican, a pour mission de contribuer à repenser, sur des bases éthiques fortes, le processus de globalisation et d'élaborer une nouvelle doctrine de l'interdépendance entre les peuples, fondée sur la valeur de l'Autre, le respect des différences et des cultures et les droits humains fondamentaux. Ses encycliques sociales Laboremexercens (1981), Sollicitudoreisocialis (1987) et Centesimusannus (1991) dénoncent la logique des totalitarismes en œuvre dans la société libérale. Après l'effondrement du système communiste, les critiques du capitalisme se multiplient, même si le pape ne condamne pas l'« idéologie du capitalisme » comme il l'avait fait pour la théologie de la libération, se limitant à en dénoncer les conséquences néfastes sans y voir des effets structurels du système fondé sur la liberté inconditionnelle des marchés. À tout le moins, il tient pour inacceptable l'axiome selon lequel la défaite du socialisme réel laisserait une place naturelle au seul modèle capitaliste, paré de toutes les vertus. Son ambition est de construire un humanisme économique universel, doté de règles juridiques communes fondées sur le principe biblique de la destination universelle des biens terrestres. Un principe que l'Église romaine a longtemps laissé confisquer au nom du principe « sacré » de la propriété privée.

La conception que développe Jean-Paul II des rapports entre les lois morales de l'Église et les lois civiles des États suscite des controverses dans la société, et jusque dans le monde catholique : on lui reproche son maximalisme dans la défense de la morale sexuelle et de la famille traditionnelle, lors des campagnes vaticanes aux conférences des Nations unies, au Caire et à Pékin. La lutte qu'il mène contre la contraception, l'avortement et l'utilisation des préservatifs, même dans le cadre de la lutte contre le sida, ou encore contre les manipulations sur l'embryon et les prétentions des neurosciences et de l'ingénierie génétique, fait du pape un champion de la défense de la vie face aux dérives scientistes ultralibérales à l'œuvre dans la législation du vivant.

Ces orientations restent toutefois contestées par le plus grand nombre. Alors que le concile de Vatican II avait libéré la conscience personnelle dans les décisions morales, la pastorale de Jean-Paul II renoue avec la conception tridentine du pouvoir indirect de l'Église sur les États, en cherchant à influer sur le pouvoir politique pour s'assurer de la conformité des lois civiles à la morale chrétienne traditionnelle. De l'Instruction Sur le respect de la vie humaine (1987) aux encycliques Veritatissplendor (1993) et Evangelium vitæ (1995) et jusqu'à la Lettre aux évêques d'Allemagne (1999) contre la présence de catholiques dans les dispensaires publics délivrant les autorisations d'avortement aux femmes en détresse, le Vatican veut peser sur les États par tout moyen légal afin d'obtenir la réforme des lois « moralement inacceptables », en s'appuyant sur des arguments non plus seulement de foi, mais aussi juridiques et anthropologiques. Dans d'autres « Notes doctrinales », le cardinal Ratzinger demande aux parlementaires catholiques de « ne céder à aucun compromis » en matière de bioéthique, et de « s'opposer à toute tentative de mettre sur le même plan le mariage et les couples homosexuels ». Dénonçant la volonté d'évacuer la religion de l'espace public des sociétés libérales, la campagne menée par le Vatican pour inscrire dans le projet de traité constitutionnel la référence aux « racines chrétiennes » de l'Europe s'inscrit dans la même stratégie. Tout cela fragilise d'autres positions soutenues par le pape, notamment lorsqu'il polémique avec l'[...]

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Écrit par

  • : journaliste-écrivain, président du Centre national de la presse catholique
  • : professeur d'éthique de l'information à l'université de Padoue, correspondant de presse accrédité auprès du Saint-Siège depuis 1961

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Médias

Intronisation de Jean-Paul II - crédits : Keystone/ Getty Images

Intronisation de Jean-Paul II

Vue de Saint Pierre de Rome - crédits : David Lees/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Vue de Saint Pierre de Rome

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