JEAN-PAUL II, KAROL WOJTYLA (1920-2005) pape (1978-2005)
Une ecclésiologie refermée
Nombre de chrétiens souhaiteraient plus de démocratie interne et s'interrogent sur la relance néo-médiévale du primat absolu du pape, sur l'excès de sa médiatisation confinant au culte de la personnalité, sur les manifestations de masse, l'activisme frénétique. Certains y voient autant de procédés pour entretenir un « état de grâce » illusoire, utile pour cacher l'incapacité du système romain à se réformer. Dans cette optique, même les voyages du pape ont été analysés comme des moyens de « centralisation pastorale » pour une Église destinée à devenir « plus papale que jamais, dans sa mentalité et même dans ses structures, grâce à une stratégie qui vise à faire de l'évêque de Rome une figure globale, le solusPontifex de grégorienne mémoire » (David Seeber).
L'inquiétude a tôt gagné des théologiens comme Yves Congar, qui avertit que « le pape a la primauté, mais dans l'Église, pas sur elle. Pas en dehors des évêques, mais avec les évêques », c'est pourquoi « un pape super-évêque serait un pape hérétique ». L'ancien archevêque de San Francisco, Mgr John R. Quinn, fait grand bruit au Vatican lorsqu'il dénonce en 1999 la paralysie des réformes conciliaires, le renforcement anormal de la Curie romaine depuis que le pape, affaibli par la maladie de Parkinson, n'exerce plus un plein contrôle sur l'appareil, l'expansion sans précédent du système politico-diplomatique du Saint-Siège, qui contrôle la sélection des candidats à l'épiscopat et, enfin, la mise en œuvre différée de l'autonomie des Conférences épiscopales nationales.
Avec l'encyclique Ut unum sint en 1995, Jean-Paul II ouvre bien le débat sur la recherche de nouvelles modalités d'exercice du primat pontifical. Mais cette réforme sera bloquée par la Curie, qui se méfie du synode épiscopal préconisé par Vatican II, sorte de « conseil de la couronne » au pouvoir délibératif chargé d'assister le pape dans le gouvernement de l'Église universelle. Réduit au rôle consultatif, ce même synode, convoqué six fois par Jean-Paul II, ne remplit pas ses objectifs réformateurs, se montrant au contraire conditionnée par cette vision maximaliste du primat et renforçant le sentiment d'inutilité des épiscopats nationaux, dont les propositions sont largement ignorées. L'exemple le plus criant est celui du Synode africain, qui a vu rejeter sa demande unanime d'un droit canonique matrimonial et de modèles liturgiques et pastoraux en accord avec les traditions africaines. En 1998, la lettre Apostolossuos prévoit de priver les Conférences épiscopales nationales ou régionales de leur pouvoir de délibération en matière doctrinale et de minimiser leur rôle collégial dans le gouvernement de l'Église universelle.
En 1984, les condamnations formelles de la théologie de la libération par la Congrégation pour la doctrine de la foi, motivées par la lutte antimarxiste, permettent à la Curie de mettre hors-jeu tout un courant innovateur dans le domaine pastoral, théologique, social et catéchétique, et de réprimer l'idée naissante d'une Église « populaire », plus fidèle à l'Évangile annoncé aux pauvres, dont témoigna, parmi d'autres, l'archevêque de San Salvador Mgr Oscar A. Romero, assassiné en 1980 par les « escadrons de la mort ». La normalisation de l'Église du continent sud-américain, scellée par les directives à tonalité spiritualiste données par le pape aux assemblées de l'épiscopat latino-américain à Puebla (1979) et à Saint-Domingue (1992) – et par son ralliement à la dictature du général Pinochet –, a eu des retombées catastrophiques, entraînant la dispersion des communautés de base, la mise à l'écart de théologiens et l'apostasie de catholiques au profit des sectes[...]
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Écrit par
- Jean-Claude PETIT : journaliste-écrivain, président du Centre national de la presse catholique
- Giancarlo ZIZOLA : professeur d'éthique de l'information à l'université de Padoue, correspondant de presse accrédité auprès du Saint-Siège depuis 1961
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