RAINE KATHLEEN (1908-2003)
Même si elle est aussi l'admirable analyste d'elle-même dans son autobiographie, Kathleen Raine appartient aux terres violentes de la poésie. Son œuvre critique permet de mieux comprendre dans quelle tradition elle s'inscrit : Milton, Blake, Coleridge, Yeats, tels sont ses maîtres préférés.
Née en 1908 à la frontière de l'Écosse, profondément marquée par ce paysage sauvage où toute image participe aussitôt de l'intemporel pour prendre valeur de symbole, Kathleen Raine ressentira toute sa vie la nostalgie de ces terres synonymes pour elle de l'Éden perdu, où planaient le génie des ballades écossaises, la figure de la mère à qui elle doit son enfance resongée à travers l'écriture, l'autorité d'un père à qui elle sacrifia son « premier amour », le prestige de tout ce qui reste inaccessible, et le sentiment de l'« effroi sacré » dont elle s'imprègne dans ses lieux d'élection.
Ces lieux choisis, ce sont Bavington, tout d'abord, où elle passa son enfance pendant la Première Guerre mondiale ; Martindale, où elle vécut avec ses enfants dans le Cumberland pendant la dernière guerre ; Sandaig enfin, où elle connut une grande passion impossible pour le célèbre naturaliste Gavin Maxwell en l'honneur de qui elle écrivit ses poèmes les plus émouvants. Pour elle, l'amour est aussi une voie, une ascèse, comme il ressort de ses deux recueils The Year One, 1952 (Le Premier Jour, Paris, 1980) et On a Deserted Shore, 1973 (Sur un rivage désert, Paris, 1978), ainsi que des sept autres volumes publiés, parmi lesquels The Pythoness, 1949 (Isis errante, Paris, 1978) et The Hollow Hill, 1965.
Son autobiographie, longue entreprise en prose poétique, rappelle celle de Yeats en ce qu'elle recherche l'origine des hantises, des culpabilités de l'être à travers les images originaires, la persistance des fantasmes, l'importance des premiers paysages et la découverte de la cruauté. À ces souvenirs d'enfance — Farewell Happy Fields, 1973 (Adieu prairies heureuses, Paris, 1978) — succède le récit des études à Cambridge, où Kathleen Raine fut l'une des premières femmes à étudier avant la guerre, sa conversion intermittente au catholicisme, puis son installation à Chelsea : The Land Unknown, 1975 (Le Royaume inconnu, Paris, 1981). Un quatrième volume, India Seen Afar (1991) s'ajoutera plus tard à cette autobiographie.
L'autobiographie culmine encore dans le dernier volume, courageux et original, The Lion's Mouth, 1977 (Dans la gueule du lion, Paris, 1987), qui avoue la relation difficile de l'écrivain avec Maxwell, l'éternel absent. À tour de rôle, les deux écrivains élevaient des loutres dans un site paradisiaque où, grâce à la création, Kathleen Raine apprit à sublimer une certaine désespérance ainsi que l'expérience du deuil, après la mort de Maxwell en 1971. Les études de botanique, faites autrefois à Cambridge, l'amour du végétal, du minéral, la passion pour Platon, les correspondances, la circularité de l'expérience humaine donnent à ces volumes une densité et une puissance singulières.
Les mots clefs de Kathleen Raine : « faire retour », « exil », « effroi du sacré » marquent les étapes de la connaissance qui la ramènent à un état de perception quasi religieux, et capable d'inventer ses propres rites. Elle répète volontiers le conseil de Jung : « Découvrez votre mythe, puis vivez-le. » Ses amis sont des poètes hantés comme elle par le mythique : C. S. Lewis, Edwin Muir, David Gascoyne. Mais William Blake (Blake and the New Age, 1979[L'Imagination créatrice chez William Blake, Paris, 1983]) reste celui à travers lequel K. Raine ne cesse de continuer sa quête métaphysique, avec cette ardeur qu'Emily Dickinson connaissait elle aussi et nommait si bien « la soif de la soif ».[...]
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Écrit par
- Diane de MARGERIE : licenciée ès lettres, écrivain, traductrice
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