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EVREN KENAN (1917-2015)

Général turc, instigateur du coup d’État de 1980, Kenan Evren est né dans l’Empire ottoman le 17 juillet 1917 à Alaşehir, en Anatolie occidentale, dans l’Ionie largement peuplée de Grecs. Celui qui était surnommé le « Pinochet turc » est issu d’une famille de réfugiés turcs d’Üsküb (Skopje à partir de 1913, aujourd’hui en Macédoine du Nord), chassée par l’armée serbe en 1913, lors des guerres balkaniques.

Comme nombre de jeunes Turcs originaires des Balkans, tel Mustafa Kemal – né à Salonique –, il choisit la carrière militaire et entre en 1938 au lycée militaire Maltepe à Istanbul. Il obtient en 1949 son diplôme d’officier d’artillerie et fait partie, au sein de la 9e brigade, du contingent turc engagé dans la guerre de Corée en 1953. L’année précédente, en effet, la Turquie est devenue membre de l’OTAN. En 1964, Kenan Evren obtient sa première étoile de général. Il est nommé chef d’état-major de l’armée turque en 1978.

Le pays traverse alors une profonde crise politique et sociale. Les militants d’extrême droite et d’extrême gauche s’affrontent violemment dans les universités. Les attentats et assassinats se multiplient tandis que les grèves sont de plus en plus nombreuses. Les syndicats reprennent de la puissance. L’instabilité gouvernementale est à son comble. Les kémalistes du Parti républicain du peuple et les libéraux antikémalistes du Parti de la justice se succèdent à la tête de l’État.

Avec l’appui de la quasi-totalité des hauts responsables de l’armée, le chef d’état-major Kenan Evren organise son coup d’État. Le 12 septembre 1980, l’armée sort des casernes et dépose le Premier ministre Süleyman Demirel (1924-2015), au pouvoir depuis un an, chef des libéraux du Parti de la justice, à forte connotation islamiste. Ce dernier avait déjà été contraint à la démission lors du précédent coup d’État, en 1971. Après une courte garde à vue, il est libéré et interdit de toute activité politique.

Sachant qu’ils allaient procéder à de nombreuses arrestations d’opposants et remplir les prisons, les militaires éliminent discrètement et préventivement quelques dizaines de Chypriotes grecs arrêtés en juillet-août 1974, lors de l’invasion de l’île par l’armée turque, et portés disparus depuis lors. La plupart de ces 1 619 disparus avaient été tués sur place, mais plusieurs dizaines d’entre eux avaient été déportés et enfermés dans les prisons du sud et du centre de la Turquie. Il fallait effacer les témoignages sur l’existence de ces fantômes, dont la république de Chypre et la Grèce demandaient des nouvelles.

Ce troisième coup d’État militaire – après ceux de 1960 et de 1971 – est le plus brutal : 250 000 personnes sont arrêtées, 50 sont exécutées après jugement, 171 meurent sous la torture. Des dizaines de milliers de Turcs choisissent l’exil, en particulier les étudiants et les intellectuels. Kenan Evren fait modifier la Constitution pour s’arroger les pleins pouvoirs et se fait élire président de la République en novembre 1982 ; il restera en fonction jusqu’en novembre 1989. C’est sous son régime que le conflit kurde va prendre une tournure particulièrement violente, radicalisée par la brutalité de la répression étatique contre les militants, avec les débuts de la lutte armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en Anatolie orientale. Après sa retraite présidentielle en 1989, Kenan Evren devient peintre, spécialisé dans le nu féminin.

En 2002, les islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP), héritiers du parti de Süleyman Demirel, prennent le pouvoir. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan décide de faire rentrer l’armée dans les casernes pour éviter un nouveau coup d’État militaire. En 2010, il fait supprimer l’immunité judiciaire des militaires, une première dans le pays,[...]

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Écrit par

  • : docteur en histoire du xxe siècle de l'Institut d'études politiques, Paris, journaliste, membre du comité de rédaction de la revue Confluences Méditerranée

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