ANGER KENNETH (1927-2023)

Kenneth Anger (Kenneth Wilbur Anglemyer), né le 3 février 1927 à Santa Monica et mort le 11 mai 2023 à Yucca Valley (Californie), fut un cinéaste d’avant-garde américain, pionnier du film queer et psychédélique, notamment avec son chef-d’œuvre Inauguration of the PleasureDome (1954) dont la bande-son se nourrit de La Messe glagolitique de Leoš Janáček.

Dès sa prime enfance, Kenneth Anger est plongé, grâce à sa grand-mère costumière, dans l'environnement magique de Hollywood, et figure même dans Le Songe d'une nuit d'été de William Dieterle et Max Reinhardt (1935). Il sera peut-être le premier cinéaste d'avant-garde à rechercher certains modèles expressifs dans le cinéma hollywoodien. Dès 1949, il tente en effet de réaliser un film à la gloire d'une star du passé, intitulé Puce Moment – dont il ne reste qu'un fragment. Lors de son séjour en France, Anger consacrera aussi un livre aux scandales et aux turpitudes de l'usine à rêves (Hollywood Babylone, 1959), que prolongera un second volume (1986).

Il tourne entre 1937 et 1947 sept courts-métrages qu'il détruit en 1967, à la suite d’une crise de désespoir due au vol d'une première mouture de son film Lucifer Rising.

L’invention d’une mythologie

De nombreuses lectures peuvent être faites du cinéma de Kenneth Anger. Jean Mitry le classe dans la catégorie « surréalisme USA » ; Pierre Hecker propose dans son essai une lecture ésotérique de son œuvre en la reliant aux enseignements de son maître spirituel l’occultiste britannique Aleister Crowley (1875-1947). Pour le théoricien de l’expérimental P. Adams Sitney, ses films, comme ceux de Gregory Markopoulos, relèvent d’une démarche « mythographique » qui conduit ces artistes à évoquer et à mélanger divers mythes et divinités dans un but allégorique.

Kenneth Anger, qui apprécie Georges Méliès, n’a réalisé que des courts-métrages, tournés en muet avec des musiques ajoutées (allant de l’opéra à la variété) de manière toujours dialectique et qui en constituent de parfaits commentaires. Le socle central de son œuvre, le « Magick Lantern Cycle », comprend des films tournés entre 1947 et 1980. L'auteur de Scorpio Rising doit sa notoriété à la manière dont il a su articuler des formes de culture populaire (pop music, bande dessinée, fétichisme du cuir) avec les grandes questions suscitées et débattues par la contre-culture : structuration d'une identité artistique « gay » avec ses propres insignes et icônes ; détournement des rites hollywoodiens et religieux pour créer de fascinants poèmes camp. L'ironie, l'esthétisme, la théâtralité et l'humour caractérisent, selon Jack Babuscio, ce qui est autant un style de vie qu'une vision du monde. Ce travail systématique sur le second degré a vivifié non seulement l'avant-garde mais aussi le cinéma de la modernité à partir de 1960. Rainer Werner Fassbinder, Martin Scorsese ou David Lynch sont aussi des admirateurs d'Anger.

C'est d'une manière tout à fait spontanée, sans s'être concerté avec d'autres jeunes cinéastes d’avant-garde – tels Gregory Markopoulos, James Broughton ou Curtis Harrington, qui travaillaient alors isolément –, que Kenneth Anger réalise en 1947 Fireworks, un court-métrage de quinze minutes dans lequel on voit un jeune homme (Anger lui-même) se faire agresser par des marins armés de chaînes qui lui déchirent la poitrine. Si ce film est proche, par son travail minutieux sur le noir et blanc et le montage – Anger est un admirateur d'Eisenstein dont il montera une version de l'opus inachevé, Que viva Mexico ! – des œuvres contemporaines de Maya Deren, il s'en éloigne par la crudité avec laquelle il exprime les fantasmes liés au désir homosexuel. Véritable film-emblème, Fireworkssera admiré par[...]