KERIYA, MÉMOIRES D'UN FLEUVE (exposition)
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Modeste par sa taille, l'expositionKeriya, mémoires d'un fleuve. Archéologie et civilisation des oasis du Taklamakan (Fondation Électricité de France-Espace Électra, Paris, 14 février-27 mai 2001) a constitué, par les résultats qu'elle présentait et les problématiques abordées, un événement majeur.
Au début des années 1980, une coopération scientifique s'instaurait entre une équipe du CNRS travaillant sur l'archéologie de l'Asie centrale et l'Institut d'archéologie du Xinjiang, la province la plus occidentale de Chine. Cette équipe franco-chinoise décida, en 1991, de centrer ses efforts sur les processus de peuplement de la vallée de la Keriya, dont les anciens deltas, depuis désertifiés, semblaient avoir été propices à des établissements humains. L'équipe allait ainsi travailler au sein de l'un des plus grands déserts du monde, dans un environnement de dunes qui constamment modifient le paysage, dévoilant et engloutissant tour à tour les traces du passé. Près de dix ans d'efforts et une approche interdisciplinaire ont permis de retrouver les vestiges d'une civilisation ensevelie et de reconstituer la mémoire du fleuve, qui reliait autrefois, à travers le désert du Taklamakan, les oasis des deux routes qui, au nord et au sud, le contournent.
Le parcours scientifique de l'équipe – que l'exposition restituait – a consisté à remonter le temps et le fleuve, depuis l'oasis de Daheyan, dans la vallée actuelle de la Keriya, à celle de Karadong habitée au iiie siècle, redécouverte par Sven Hedin en 1896 et par Aurel Stein en 1901, jusqu'à celle enfin de Djoumboulak Koum dont les vestiges, totalement inconnus, datent des environs de 400 avant notre ère.
Le travail sur les deux sites archéologiques, de 1991 à 1996, a été accompagné et suivi d'enquêtes ethnographiques sur le terrain, de recherches de laboratoire et de campagnes de restauration du matériel, en un entrecroisement exemplaire de différentes approches, techniques et compétences.
L'exposition abordait d'abord l'espace rural de la Keriya actuelle à l'aide de photographies, d'objets et de beaux relevés d'architectes. Étudier les modes de vie des bergers ouïgours qui y vivent, leurs maisons, leurs adaptations au milieu constituait en effet un préalable et un complément essentiels pour appréhender l'existence des hommes du passé dans un environnement comparable.
De Karadong, deuxième étape du parcours, au début de notre ère, prospections et fouilles ont permis de reconnaître un certain nombre de constructions, un vaste réseau d'irrigation et de dégager une ferme construite en bois de peuplier avec hourdis de roseaux, comme sont encore édifiées les habitations de Daheyan. Avec cette maison, mille aspects de la vie quotidienne de l'oasis antique nous étaient restitués. Si les petits objets en bois, le feutre et les étoffes en laine, une partie de la vaisselle céramique étaient de fabrication locale, les toiles de coton venaient de l'Inde, de même que la céramique fine, de tradition kouchane ; les soieries, les monnaies venant, elles, de Chine ; et les perles de verre de l'Orient méditerranéen. La fouille a dégagé également deux petits sanctuaires bouddhiques (A et B), datés par le radiocarbone de la première moitié du iiie siècle, et qui sont, avec ceux de Miran, les plus anciens vestiges bouddhiques connus au Xinjiang ; chacun de plan central était orné de bouddhas peints sur enduit d'argile. Si le sauvetage, dans des conditions extrêmement difficiles, de vestiges aussi fragiles et dégradés constitue en soi un exploit, la reconstitution de leur architecture et de leur décor a donné lieu à un formidable travail d'équipe réunissant archéologue, topographe, architecte, restaurateur et historien de l'art. Ces sanctuaires témoignent, de même que le style de leurs des peintures, du métissage culturel à l'œuvre à Karadong où se côtoient motifs imprégnés d'hellénisme et iconographie indienne.
La troisième étape de l'exposition était consacrée au site de Djoumboulak Koum, pour l'instant sans équivalent au Xinjiang. L'équipe y a découvert une bourgade fortifiée et ses nécropoles, première trace d'un ancien peuplement d'agro-pasteurs sédentaires, tisserands et métallurgistes. La ville semble avoir été habitée longtemps, comme en témoignent les sept mètres de litières et de débris végétaux de sa stratigraphie. L'enceinte, massive, associait briques crues et terre armée. Les cimetières se trouvaient hors les murs. L'étude des restes trouvés dans la ville et dans les tombes renouvelle complètement notre vision du peuplement ancien du Xinjiang. Les habitants de Djoumboulak Koum cultivaient, grâce à l'irrigation, le millet, le blé et l'orge ; ils utilisaient un large éventail d'outils en fer qu'ils forgeaient, tiraient mille ressources du bois de peuplier et des fibres végétales, élevaient nombre d'animaux, dont certains ont disparu des oasis. Le site a livré une telle richesse de matériaux périssables d'origine végétale et surtout animale (ossements, cornes, déjections, peaux, poils, duvets – de chèvre cachemire – et textiles) qu'il est possible, après analyse, de connaître de façon très précise la nature du cheptel, les pratiques alimentaires et vestimentaires, les techniques textiles (feutre, cordage, tressage, tissage). Djoumboulak Koum importait des objets de luxe, perles de cornaline de l'Inde et de verre du monde iranien, cauris en bronze de Chine. Ses habitants avaient donc établi, bien avant la route de la soie, des contacts avec les oasis voisines, mais aussi avec des régions plus lointaines.
Les inventeurs du site ont pu établir que Djoumboulak Koum appartenait au vaste groupe des cultures à poterie grise de l'ouest du Xinjiang. Dans cet ensemble, les comparaisons s'imposent avec le monde des steppes de la Sibérie du Sud et du Kazakhstan. Il est donc fort possible que, par leur culture, les habitants de Djoumboulak Koum aient été des cousins des Saka (les Scythes orientaux).
L'exposition expliquait avec beaucoup de clarté l'intervention des spécialistes, des restaurateurs, sans lesquels des objets que l'aridité avait préservés n'auraient pu être transportés ni étudiés, mais aussi de ceux qui ont traité et analysé les textiles et les métaux. Le catalogue remarquable constitue un outil de travail indispensable.
Bibliographie
C. Debaine-Francfort & A. Idriss dir., Keriya, mémoires d'un fleuve. Archéologie et civilisation des oasis du Taklamakan, catal. expos., Findakly, Paris, 2001.
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Écrit par
- Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS : directrice d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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