KILLERS OF THE FLOWER MOON (M. Scorsese)
Montrer les violences sexistes et racistes
Contrairement à d’autres chefs-d’œuvre de Scorsese comme Les Affranchis (1990), Casino (1995), Gangs of New York (2002), la représentation de la violence est plutôt elliptique dans Killers of the Flower Moon. Chaque meurtre est expédié à l’écran comme une formalité, dans des plans très rapides. La violence fondamentale du « projet » de William Hale rend inutiles les scènes sanglantes. C’est l’exposition du plan de Hale qui tient le récit et le rend passionnant.
La place des femmes dans ce film (ici, Mollie, sa mère et ses sœurs) confirme ce qu’on oublie souvent : Scorsese est un cinéaste féministe. Il a toujours raconté le regard tordu, primaire et abusif que posent les hommes sur les femmes, et leur façon à elles d’y résister. Là encore, le mal est lié à l’aveuglement. Pensons à Raging Bull (1980), aux commentaires proférés autour d’une piscine du Bronx par Jake LaMotta (De Niro) et son frère Joey (Joe Pesci) sur le compte de la jeune Vickie (Cathy Moriarty). Dès ce film, dans une articulation des plans, des dialogues et des regards très précise, le réalisateur se faisait déjà chroniqueur rigoureux de ce que la réalisatrice et critique britannique Laura Mulvey venait de dénommer le male gaze (le « regard masculin », in Plaisir visuel et cinéma narratif, 1975). Le rôle de Mollie est interprété par Lily Gladstone, une actrice jusque-là peu connue, qui s’avère largement à la hauteur de ses deux célèbres comparses. Aveugle pendant la quasi-totalité du film, lucide finalement, Mollie se révèle une héroïne malheureuse et vaillante, une femme qui souffre et qui sent le monde d’une façon poétique et fascinante.
À cette chronique du mépris des femmes, dont on découvre les diverses manifestations au quotidien, dans les foyers, à l’abri des regards, Scorsese ajoute un discours dont il est moins coutumier, celui sur le racisme. S’il évoquait déjà la haine entre les communautés dans Gangs of New York, il dresse ici un tableau glaçant de la condescendance de Blancs, cupides et vulgaires, envers un monde qu’ils n’ont cessé de piétiner, de massacrer, en toute bonne conscience. Quand Ernest suggère à un pauvre diable de tuer un homme, celui-ci se défend d’abord. Mais, « si c’est un Indien, ce n’est pas la même chose ».
Le film a été entièrement réalisé en accord avec la communauté osage. Il ne cesse de rendre hommage à sa culture, commençant et s’achevant par un rituel de célébration : au début de Killers of the Flower Moon, on prépare en pleurant les « funérailles » d’un calumet devenu inutile ; à la fin, on ramène à soi les puissances spirituelles que les Blancs ont cherché à détruire. La force du moraliste Scorsese est intacte.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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