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KIM, Rudyard Kipling Fiche de lecture

Au temps du « Grand Jeu »

L'extraordinaire beauté de ce chef-d'œuvre de Kipling tient à plusieurs éléments. En premier lieu, sans doute, une image de l'Inde, encore reconnaissable aujourd'hui, grouillante de vie multiforme, et qui donne l'impression d'être aimée par l'auteur comme elle l'est par Kim. En second lieu, et bien qu'un reste de victorianisme occulte tout l'aspect sexuel de l'adolescence, Kim possède la force émotive d'un bon roman d'éducation : au cours de ses aventures, l'orphelin trouve une multitude de pères de substitution, qui tous l'aiment, et dont chacun apporte quelque chose de différent à sa formation. Le lama tibétain reste évidemment la figure la plus marquante : sa simplicité et sa pureté le distinguent de tous les autres personnages du livre ; il introduit quelques grammes de sainteté dans un monde de corruption et de violence, et ces quelques grammes ne sont pas de peu de poids. Le lama n'est d'ailleurs pas tout d'une pièce ; cet être de lumière a quelques faiblesses, qui le rendent d'autant plus humain.

Son jeune partenaire dans la quête de la guérison frappe de son côté par ses fortes qualités : une intelligente et sympathique curiosité, un grand courage physique et moral, un authentique dévouement aux causes qu'il décide de servir. Enfin, la relation complexe qui se noue entre le vieillard et l'adolescent confère au livre une réelle profondeur.

Kipling a voulu, d'une part, montrer la chatoyante diversité de l'Inde, la richesse de ses couleurs, de ses saveurs, de ses parfums, mais aussi de ses ethnies, de ses langues et de ses religions ; et, d'autre part, souligner le rôle, à ses yeux bénéfique et nécessaire, joué dans ce pays par la présence anglaise, élément d'unité et de progrès. D'un côté, le charme et la vie, y compris la vie spirituelle ; de l'autre, l'ordre et la force.

On devrait peut-être s'irriter de voir Kipling qualifier systématiquement de Great Game, de Grand Jeu, des activités d'espionnage qui tuent et corrompent (la Couronne britannique est alors en pleine rivalité avec l'empire russe). On devrait peut-être s'indigner de voir Kim entraîner dans ce Grand Jeu, à son insu et à son détriment, un être aussi pétri d'innocence que son lama. On n'en reste pas moins désarmé par le charme du récit et la noblesse de l'inspiration.

— Sylvère MONOD

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Média

Rudyard Kipling - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Rudyard Kipling