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KINDĪ AL- (IXe s.)

L'inscription hellénique

Kindī se veut philosophe : faylasūf, c'est-à-dire qu'il s'inspire, consciemment et fermement, des penseurs grecs. Il se réclame particulièrement de Platon et d'Aristote, qui selon lui avaient au fond la même doctrine (on reconnaît là un élément de la pensée grecque tardive, volontiers syncrétiste). Mais l'examen de ses œuvres permet d'y déceler des problèmes et des concepts issus de divers courants du néo-platonisme : cette étude, encore loin d'être achevée, donne des renseignements précieux sur la nature et la mesure des connaissances de son milieu en matière de philosophie hellénique. Kindī travaillait en liaison avec plusieurs traducteurs. C'est ainsi qu'Ibn Nā‘ima traduisit pour lui la fameuse Théologie dite d'Aristote, que Kindī ne cite pas dans sa liste des ouvrages de ce philosophe, et qui est sans doute l'œuvre de Porphyre. Le Livre de la philosophie première, dédié au calife al-Mu‘taṣim, contient, au début, une sorte de manifeste où Kindī donne une théorie de la croissance historique de la philosophie, inspirée du livre α de la Métaphysique d'Aristote, et se défend vigoureusement contre ceux qui critiquent sa méthode au nom de la foi traditionnelle.

La pensée de Kindī tient aussi fondamentalement au kalām, qui est une branche de la réflexion religieuse, de nature dialectique, en quelque sorte une théologie. Plus précisément, ce faylasūf adopte certains points essentiels du mu‘tazilisme, école théologique en pleine vigueur à cette époque et qui contribua d'autre part, autant que la falsafa, à introduire des éléments grecs dans la substance de la pensée musulmane – encore que d'une façon particulière. Protégé par les califes favorables aux mu‘tazilites : al-Ma'mūn et al-Mu‘taṣim, Kindī tomba en disgrâce en 848, sous le calife al-Mutawakkil ; sa bibliothèque, confisquée, lui fut toutefois rendue quelque temps avant sa mort. L'adhésion de Kindī au mu‘tazilisme est attestée en outre par les titres de certains écrits que nous ne possédons plus, et aussi par plusieurs textes que l'on connaît. Ainsi, à la fin de la première partie (la seule que l'on ait) de sa Philosophie première, il conclut un développement sur l'unité divine par une phrase où il déclare hérétiques ceux qui prêtent à Dieu des attributs : or, les mu‘tazilites niaient que Dieu eût des attributs distincts de son essence ; mais, en démontrant que Dieu est un, Kindī énumère tout ce qu'il faut en nier – et c'est une série de termes venus tout droit de la philosophie grecque : matière, forme, genre, espèce, intellect, etc.

Le texte qu'on vient de citer est, dans sa nature et dans son mouvement, philosophique ; il a pourtant aussi un sens religieux. On raconte que le calife al-Ma'mūn vit en songe Aristote, qui lui assura qu'il n'y avait pas de différence entre la raison et la loi religieuse. Kindī a la même opinion : dans sa Lettre sur le nombre des livres d'Aristote, il développe l'idée que la « science prophétique » et la « science humaine » ont le même contenu ; mais la première est acquise sans effort, sans délai, ni connaissances préalables, parce qu'elle vient de Dieu. Il expose aussi le premier point vers le début de la Philosophie première, en choisissant des mots qui tiennent à la fois au vocabulaire de la religion et à celui de la philosophie. Quelques dizaines d'années plus tard, le théologien al-Ash‘arī accusera les mu‘tazilites d'être « les frères des philosophes » ; à propos de Kindī, il faudrait parler d'identité entre les deux personnages, avec une prédominance du philosophe pour les références doctrinales, le style et la technique de l'exposé. Mais si sa Lettre sur l'intellect est purement philosophique,[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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