FLAGSTAD KIRSTEN (1895-1962)
L'essor d'une grande carrière tient parfois à peu de choses. Si le destin ne s'en était pas mêlé, l'une des plus belles voix du xxe siècle n'aurait en effet pas réussi, après un parcours obscur, à franchir les frontières de sa Norvège natale. Venue tardivement sur les grandes scènes internationales, la soprano Kirsten Flagstad est l'incarnation même d'un âge d'or du chant wagnérien qui aujourd'hui semble, hélas, révolu.
Une étoile est née
Kirsten Målfrid Flagstad naît le 12 juillet 1895 à Hamar, petite ville du comté de Hedmark, en Norvège. Son père, Michael Flagstad (1869-1930) est altiste et chef d'orchestre. Sa mère, Marie Flagstad-Johnsrud, est pianiste et répétitrice de chœurs. Dès l'âge de douze ans, Kirsten connaît par cœur les rôles d'Aïda et d'Elsa (Lohengrin de Wagner), mais ses parents la destinent au piano. À l'âge de seize ans, elle commence véritablement à s'initier au chant, d'abord sous la houlette maternelle, ensuite en se perfectionnant auprès d'Ellen Schytte-Jacobsen à Oslo.
Le 12 décembre 1913, elle fait ses débuts sur les planches au Nationalteatret d'Oslo, dans le rôle de Nuri (Tiefland, d'Eugen D'Albert). Elle achève ses études de chant, avec Albert Westwang à Oslo et Gillis Bratt à Stockholm. Jusqu'en 1933, elle ne va guère se produire qu'en Scandinavie – sans attirer particulièrement l'attention –, dans des opéras, des opérettes, des comédies musicales et même des revues ! De 1919 à 1921, elle appartient à la troupe de l'éphémère Opéra-Comique d'Oslo, qui a été fondé en 1918. Le Théâtre municipal de Göteborg l'accueille de 1928 à 1932. Cet épisode de sa vie permet cependant à Kirsten Flagstad d'acquérir une présence scénique et, surtout, tout en ménageant sa voix, de se forger un répertoire aussi vaste que varié, des atouts qui se révéleront par la suite précieux. C'est ainsi qu'elle incarne Germaine dans Les Cloches de Corneville de Robert Planquette (1914), Rosalinde dans La Chauve-souris de Johann Strauss (1915), Oreste dans La Belle Hélène de Jacques Offenbach (1919), Fatime dans Abu Hassan de Carl Maria von Weber (1919), Desdemona dans Otello et Amelia dans Un bal masqué de Giuseppe Verdi (1921), Minnie dans La Fanciulla del West de Giacomo Puccini (1921), Micaëla dans Carmen de Georges Bizet (1924), Marguerite dans Faust de Charles Gounod (1926), Agathe dans Le Freischütz de Weber (1928), Mikal dans Saul og David de Carl Nielsen (1928), le rôle-titre d'Aïda de Verdi (1929), Mimì dans La Bohème et le rôle-titre de Tosca de Puccini (1929). « Il n'est guère surprenant que cette voix naturellement „placée“ et magnifiquement éduquée ait duré si longtemps », a déclaré le critique britannique Richard Osborne. En 1929, Kirsten Flagstad incarne enfin une héroïne wagnérienne, Elsa de Lohengrin ; l'année suivante, elle est Eva dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Après presque vingt ans d'une vie professionnelle sans grand éclat où, sur des scènes secondaires, elle fait preuve d'un éclectisme rare, Kirsten Flagstad, malgré les efforts obstinés et vains d'un ardent et illustre propagandiste nommé Alexander Kipnis, est sur le point de renoncer à la vie artistique.
Le 29 juin 1932, à Oslo, elle interprète sa première Isolde ; c'est également la première fois qu'elle chante en allemand sur scène. La soprano suédoise Ellen Gulbranson, grande interprète de Brünnhilde au festival de Bayreuth, l'entend ; subjuguée, elle recommande Kirsten Flagstad à Winifred Wagner, qui dirige alors le festival, et qui l'appelle pour tenir de petits rôles en 1933 : Ortlinde dans La Walkyrie et la Troisième Norne dans Le Crépuscule de dieux. Elle s'y montre à ce point impressionnante qu'elle est[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
Classification
Média