FLAGSTAD KIRSTEN (1895-1962)
Dans le rougeoiement du crépuscule
Après avoir participé avec Alexander Kipnis (Rocco) à une légendaire série de trois représentations de Fidelio que Bruno Walter dirige au Met en février et mars 1941, Kirsten Flagstad interrompt sa vie professionnelle et retourne dans son pays natal afin d'y rejoindre son second époux, Henry Johansen ; elle passera dans la Norvège occupée les dernières années de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, Henry Johansen est arrêté pour collaboration avec les nazis (il mourra en prison en 1946, avant d'avoir pu être jugé), et Kirsten Flagstad est elle-même accusée – injustement : elle sera acquittée – de collaboration avec les autorités allemande d'occupation. Elle ne reprendra ses activités musicales que deux ans plus tard, avec une tournée aux États-Unis (1947-1948) ; ses moyens vocaux sont intacts, mais son image y a été ternie par cet épisode malheureux. Les Britanniques se montrent moins sévères et, durant quatre saisons, de 1948 à 1951, elle se produit principalement au Covent Garden, où elle reprend tous les grands rôles wagnériens qui ont fait sa gloire : Isolde en 1948, puis Kundry, Sieglinde et les trois Brünnhilde. En 1949 et 1950, elle interprète au festival de Salzbourg de mémorables Leonore de Fidelio sous la direction de Wilhelm Furtwängler. Le 22 mai 1950, au Royal Albert Hall de Londres, elle crée, avec le Philharmonia Orchestra placé sous la direction de Furtwängler, les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. Elle sera la Brünnhilde que Furtwängler choisit pour son Ring de 1950 enregistré avec l'Orchestre de la Scala de Milan. En 1951 et 1952, elle incarne Didon de Didon et Énée de Purcell au Mermaid Theatre de Londres, œuvre qu'elle enregistre au côté d'Elisabeth Schwarzkopf (Belinda). Elle revient au Metropolitan Opera le 22 janvier 1951, dans Tristan et Isolde dirigé par Fritz Reiner ; Ramón Vinay est Tristan. En février et mars, elle y incarne les trois Brünnhilde ; au début de 1952, elle triomphe dans le rôle-titre d'Alceste de Gluck : c'est dans ce rôle qu'elle fait ses adieux au Met, le 1er avril 1952. La même année, elle est l'Isolde du premier Tristan et Isolde intégral en studio de l'histoire du disque que signe Wilhelm Furtwängler à la tête du Philharmonia Orchestra (et dans lequel Elisabeth Schwarzkopf s'est substituée à Flagstad pour les notes les plus aiguës).
Alors qu'elle est encore en pleine possession de ses moyens, Kirsten Flagstad met volontairement fin à cette carrière triomphale le 12 décembre 1953, dans ce Nationalteatret d'Oslo qui avait vu ses débuts. Elle se produit encore en concerts, et Georg Solti fera appel à elle en 1959 pour tenir le rôle de Fricka dans L'Or du Rhin – avec George London (Wotan), Gustav Neidlinger (Alberich) et Set Svanholm (Loge) –, première journée du célèbre enregistrement de la Tétralogie qu'il réalise pour Decca, à la tête de l'Orchestre philharmonique de Vienne. De 1958 à 1960, Kirsten Flagstad assume la direction du tout nouvel Opéra d'État norvégien d'Oslo. Sa plus jeune sœur, Karen-Marie Flagstad (1904-1992), a fait une brillante carrière de soprano sous le nom de Marie Cerhal. Kirsten Flagstad meurt à Oslo le 7 décembre 1962.
La voix de Kirsten Flagstad, unique par l'ampleur, le volume et la richesse de sa couleur, s'élance au-dessus des plus tumultueux déchaînements de l'orchestre. Le souffle, d'une puissance exceptionnelle, semblant inépuisable, soutient une ligne de chant d'une longueur et d'une plasticité inouïe. « Le timbre, somptueux, dense, totalement homogène sur deux octaves, alliait une plénitude charnelle à l'éclat du diamant » (Claude Nanquette, Anthologie des interprètes). Malgré un jeu de scène qui a paru à certains statique et placide, Kirsten Flagstad a su imposer[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
Classification
Média