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KITSCH

Art et kitsch

L'art et le kitsch ne font pas bon ménage. En 1933 (date qui peut expliquer en partie sa virulence), Broch écrivait déjà que « le kitsch est le mal en soi à l'intérieur de l'art ». Kundera lui fait écho dans son essai Le Rideau (2005), où le kitsch apparaît comme « le mal esthétique suprême ».

De fait, le kitsch réduit le complexe au simple, l'ambitieux au médiocre, le menaçant au rassurant, le chef-d'œuvre au cliché. Selon le critique américain Clement Greenberg, auteur, en 1939, d'un célèbre article sur « Avant-garde et kitsch » (traduit en français dans le recueil Art et culture : essais critiques, en 1989) : « Tout le kitsch est académique et, réciproquement, tout ce qui est académique est kitsch. » Si de telles affirmations peuvent paraître outrancières, elles ont toutefois le mérite de situer clairement le problème.

Malgré tout ce qui les sépare, l'art et le kitsch se sont cependant rencontrés. D'abord au premier degré, involontairement, dans l'art pompier, les chromos, l'art naïf, ou chez le facteur Cheval (1836-1924), voire chez certains surréalistes. Puis consciemment, au second degré, comme l'attestent de nombreuses œuvres produites au xxe siècle et encore de nos jours (voir le cas très controversé de l'Américain Jeff Koons, né en 1955). Dès 1924, avec le Manifeste du surréalisme, André Breton affirmait déjà : « Dans le mauvais goût de mon époque, je m'efforce d'aller plus loin qu'aucun autre. »

Sans doute le chef de file des surréalistes aura-t-il été largement dépassé, notamment par les tenants du pop art américain, qui n'hésitèrent pas à trouver leurs sources d'inspiration, au début des années 1960, dans les produits ordinaires de la culture de masse, telles « ces bandes dessinées à cinq cents que l'on abandonne, notait le peintre américain Roy Lichtenstein, sur le siège du bus quand on les a lues ». Ces images triviales, l'artiste les retravaille, les reformule, et en hisse la médiocrité au niveau de l'art – un art plus exigeant qu'on aurait pu le croire. Le résultat est une sorte de « bon goût du mauvais goût » : non plus du kitsch, mais du camp, pour employer un mot anglais aussi intraduisible que celui de kitsch.

Être camp, en effet, consiste à « faire parade de mauvais goût », non pas en baignant dans le kitsch, mais en connaissance de cause, avec humour, en en parlant avec des guillemets – comme le font encore aujourd'hui, à leur manière, de nombreux artistes, telles les Américaines Sherrie Levine et Cindy Sherman (nées respectivement en 1947 et en 1954), qui privilégient la citation, le pastiche ou la parodie.

Dans un article de la Partisan Review consacré à ce sujet, en 1964, l'essayiste et romancière américaine Susan Sontag remarquait : « Beaucoup d'exemples de camp sont des choses qui, d'un point de vue « sérieux », sont soit du mauvais art, soit du kitsch. » C'est en ce sens qu'Andy Warhol (1928-1987), dont la fascination pour la culture de masse allait de pair avec une étonnante capacité à s'en extraire ou la détourner, put être qualifié en 1970, par le critique d'art Gregory Battcock, de « grand prêtre du camp ». Autant dire qu'il serait malaisé de tenter de comprendre une part importante de la création contemporaine sans avoir à l'esprit cette subtile distinction.

— Jean-Pierre KELLER

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Écrit par

  • : docteur en sociologie, professeur honoraire de sociologie de l'image à l'université de Lausanne

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Objet kitsch - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

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