KIYONAGA TORII (1752-1815)
Le peintre de l'éternel féminin
Le nom de Kiyonaga évoque, avant tout, ses estampes de jolies femmes qui inspirèrent tant d'artistes. Sur les traces de Kiyomitsu, mais en cherchant son propre style, il s'était attaché très tôt à la représentation féminine. Sa première manière fut cet idéal de rêve illustré par Harunobu, encore vivace vers 1770. Mais, la vague réaliste intervenant, Kiyonaga suivit alors Shigemasa (1739-1820) et Koryūsai (seconde moitié du xviiie siècle) dans une conception plus naturaliste.
À force d'étudier styles, composition, jeux de lignes, harmonies de couleurs, Kiyonaga, à vingt-neuf ans, maîtrise son expression et crée un nouvel idéal de beauté. Ses personnages élancés, à l'anatomie exacte, ont assimilé tout à la fois la vigueur de Moronobu, l'intellectualité de Masanobu, le charme hautain de Chōshun, le réalisme de Koryūsai et l'absence de passion de Harunobu, sans que ces aspects soient isolables.
Pour mettre le dessin en valeur, Kiyonaga choisit des tonalités claires, subtilement réparties, harmonie avivée par un emploi judicieux du noir. Pour donner plus de réalité à ses personnages, il préfère aux fonds neutres des arrière-plans traités avec amplitude, surtout des paysages. Ces mises en pages impeccables révèlent son sens de l'équilibre et de l'espace : les plans s'enchaînent habilement, les groupements sont ingénieux et les attitudes naturelles. L'un des premiers, il s'illustra dans la composition de diptyques et de triptyques de grandes dimensions, sachant garder à chaque feuille sa valeur propre.
Ainsi, pendant toute l'ère Temmei (1781-1788), Kiyonaga, au faîte de son talent, s'imposa irrésistiblement à ses contemporains. Il éclipsa, en effet, tous les dessinateurs d'estampes, tant confirmés que prometteurs : les maîtres chevronnés cherchèrent à leur talent d'autres emplois et les futurs chefs de file se mirent à son école. Mais ces huit ans d'activité intense épuisèrent son inspiration, tandis que ses fonctions de peintre officiel du kabuki l'occupaient à l'excès ; il se trouva bientôt, dans le dessin d'estampe, supplanté par la jeune génération. Il y renonça d'ailleurs progressivement et, de 1795 jusqu'à sa mort, il œuvra presque exclusivement pour le théâtre et se limita à la peinture.
Brève apogée, longue éclipse, tel fut le destin de Kiyonaga et de tant d'autres artistes de l'Ukiyo-e. Cette décadence rapide s'explique par le fait qu'au Japon le dessinateur d'estampes était acculé par l'éditeur à deux obligations contradictoires : produire à un rythme tel qu'il excluait les possibilités de renouvellement et faire toujours du neuf pour conserver la faveur du public.
Si d'aucuns n'attribuent pas volontiers à Kiyonaga le mérite d'avoir porté l'estampe à son acmé, tous s'accordent à lui reconnaître un rôle capital dans l'histoire de l'Ukiyo-e : en huit ans, il sut fixer un nouvel idéal de beauté et composer un style qui, tous deux, devaient dominer la fin du xviiie siècle et marquer le xixe siècle.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Chantal KOZYREFF : conservatrice des collections Japon, Chine et Corée aux Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles, gestionnaire des musées d'Extrême-Orient
Classification
Média
Autres références
-
JAPON (Arts et culture) - Les arts
- Écrit par François BERTHIER , François CHASLIN , Encyclopædia Universalis , Nicolas FIÉVÉ , Anne GOSSOT , Chantal KOZYREFF , Hervé LE GOFF , Françoise LEVAILLANT , Daisy LION-GOLDSCHMIDT , Shiori NAKAMA et Madeleine PAUL-DAVID
- 56 170 mots
- 35 médias
...(1725-1770) à une image de fragilité extrême. Mais le réalisme reprit très vite ses droits et trouva son classicisme dans les années 1780 avec Torii Kiyonaga (1752-1815) notamment. Enfin, hormis une brève éclipse dans les années 1790, il devait dominer seul au xixe siècle, mais sous une figuration...