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KUROSAWA KIYOSHI (1955- )

Le visible et l’invisible

Cure est un polar atypique : l’angoisse se diffuse progressivement quand sont mises à jour des forces parapsychologiques, mystérieuses, vouées au mal, dans un tissu de faits concrets. Suffisamment et habilement mystérieux pour attirer le spectateur sans l’égarer, le récit progresse par bonds narratifs. Le personnage schizophrénique de l’inspecteur Takabe projette tout autant ses angoisses qu’il vit l’horreur des crimes. L’extraordinaire acteur Koji Yakusho, que l’on voit dans Cure et dans Charisma, va être associé de près à l’évolution du cinéaste qui délaisse peu à peu les événements narratifs pour aborder le fantastique dans sa nature plus que dans ses manifestations. À ce titre, Le Chemin du serpent sera une des dernières résurgences du Kurosawa Kiyoshi « première manière ». La mise en scène est bâtie sur des plans-séquence, aux cadres souvent larges, qui révèlent en leurs aboutissements des dénouements imprévus, avec parfois un humour noir. Tous les films de Kurosawa Kiyoshi ancrés dans les genres relèvent un peu du même dispositif de mise en scène, lié à de fortes contraintes budgétaires L’habileté du cinéaste est d’avoir su intégrer pareille contrainte à son dispositif narratif.

À partir de Cure et Charisma (1999), et grâce à la reconnaissance internationale (la première rétrospective de son œuvre aura lieu cette même année à l’occasion du festival d’Automne à Paris), Kurosawa Kiyoshi va pouvoir travailler avec des budgets plus importants. La mise en scène tend alors à se rendre invisible, et, a contrario, à rendre visible l’irréel, avec des solutions techniques très simples pour filmer les fantômes dans leurs apparitions et disparitions, comme on le voit encore, à travers le thème du remords et du refoulement, dans Shokuzai (2012). La déshérence des personnages de Vaine Illusion rappelle celle de Cure ou de Charisma. Le travail plastique y est moins élaboré parce que le monde décrit y est simple, presque en osmose avec la banalité et la grisaille du paysage environnant. De même, alors que Cure ou Charisma font appel au feu, à l’obscurité, à l’inconscient et ses déviances, Real(2013)décritunmonde assorti aux couleurs de l’univers hospitalier, où l’on pénètre l’inconscient non pas pour atteindre un monde obscur mais pour connaître une vérité. Il en va de même pour la banalité des décors de Tokyo Sonata (2008), qui évoque une ville en proie à la crise, où le père n’a pas le courage d’avouer son licenciement à sa famille.

Le recours à la mémoire peut constituer une solution narrative, mais, dans Shokuzai, le thème se divise entre « celles qui voulaient se souvenir et celles qui voulaient oublier » le viol et le meurtre d’une enfant intervenu quinze ans auparavant. Le personnage de Real, lui, voyage dans l’inconscient de sa compagne pour essayer de comprendre celle qui vivait dans la virtualité des mangas qu’elle dessinait. Rendre l’invisible visible, transmettre les sensations, autant dire interroger le réel, telle est la mission que semble s’être donnée Kurosawa Kiyoshi.

— Hubert NIOGRET

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  • JAPON (Arts et culture) - Le cinéma

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    Kurosawa Kiyoshi a beaucoup tourné à partir de 1983, et avec des budgets très modestes, avant d’être reconnu internationalement en 1997 (Cure [Kyua]), puis en 1999 (Charisma[Karisuma]) pour ses films participant d’un fantastique indicible, diffus, (alors que les films de Nakata Hideo, rendus...
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    ...entre grand et petit écran n’y est pas imperméable. Des cinéastes peuvent très bien proposer des fictions à destination de la télévision, à l’image de Kurosawa Kiyoshi qui réalise Shokuzai en 2012, une minisérie également projetée en salle sous la forme d’un long-métrage en deux parties. De son côté,...