HAMSUN KNUT (1859-1952)
La peinture épique de la société
Rêveurs annonçait d'ailleurs un net infléchissement de l'inspiration, ainsi qu'en témoignent Benoni (1908) et Rosa (1908). L'opposition s'y accuse entre le milieu patriarcal du Nordland où la nature fournit travail, joies et peines, et le capitalisme urbain mais cette fois un souffle épique soulève la description de la vie paysanne, « la seule source », « la vie éternelle ». D'ailleurs Hamsun, qui épouse en 1909 Marie Andersen (elle aussi sera écrivain renommé) met ses théories en action. Il achète une ferme qu'il veut modèle et chante dans le roman qui lui vaudra le prix Nobel, en 1920, Les Fruits de la terre (Markens grøde, 1917). Ici, tout comme dans Enfants de l'époque (Børn af Tiden, 1913) et La Ville de Segelfoss (Segelfoss by, 1915), qui fait la critique de la « civilisation » en montrant les conséquences lamentables ou grotesques du passage de Segelfoss de l'état de village à celui de ville, la verve caustique est tempérée par l'indulgence et l'humour tandis que l'art, où les élans lyriques se mêlent à l'épopée, atteint son apogée.
La fin de l'œuvre est inégale. La rage satirique défigure Femmes à la fontaine (Konerne ved vandposten, 1920) et Le Dernier Chapitre (Siste Kapitel, 1923) ; l'inspiration hésite entre la condamnation du personnage paradoxal d'August (Vagabonds [Landstrykere], 1927, August, 1930, Mais la vie continue [Men livet lever], 1933), hâbleur, déraciné, rêveur qui retrouve le héros de Pan, et, au contraire, son exaltation (Le Cercle s'est refermé [Ringen sluttet], 1936).
C'est que la passion vient de prendre une teinte politique et idéologique de goût douteux. On vient de voir que, plus il avançait en âge, plus Hamsun affirmait sa haine de la démocratie, sa sympathie pour les formes autoritaires de gouvernement ; en même temps, à une aversion de toujours contre l'Angleterre s'ajoutait une admiration grandissante pour l'Allemagne.
Est-ce l'influence de Nietzsche, est-ce un certain type de romantisme faussement wagnérien que l'on décèle déjà dans La Ville de Segelfoss, est-ce la conviction sincère que la mystique hitlérienne seule parviendrait à revivifier l'Occident avachi, toujours est-il que, vers 1930, Hamsun prend ouvertement parti pour le nazisme et que l'invasion allemande en Norvège même (1940) ne le fera pas changer d'avis. Il seconde V. Quisling et accepte de représenter son propre pays à Vienne, au congrès des journalistes de 1943. Après la guerre, il passe en jugement et, bien que ses accusateurs aient reconnu qu'il avait usé de son influence pour sauver la vie de nombre de ses compatriotes, bien qu'il n'ait jamais été antisémite, il est condamné à verser une amende de 325 000 couronnes, ce qui le ruina complètement. Il ne fut pas emprisonné à cause de son grand âge et parce qu'on voulut le croire atteint de débilité mentale, ce qui ne l'empêcha pas de publier une sorte d'auto-justification en 1949, sous le titre de Par les sentiers où l'herbe repousse (Paa gjengrodde Stier). Une dernière fois y éclate l'hymne à la vie intense, naturelle et indéfiniment victorieuse. Le credo de toute une vie et de toute une œuvre s'y retrouve exalté : « Je me réjouis de revivre. » Il meurt à Grimstad à l'âge de quatre-vingt-treize ans.
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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NORVÈGE
- Écrit par Marc AUCHET , Régis BOYER , Georges CHABOT , Encyclopædia Universalis , Lucien MUSSET et Claude NORDMANN
- 24 666 mots
- 24 médias
...(1870-1924) ou des romanciers régionalistes comme Peter Egge (1859-1959 ; HansineSolstad, 1925), Johan Bojer (1872-1959 ; Den Siste Viking, 1921, Le Dernier Viking) et Gabriel Scott (1874-1958 ; Kilden, 1918, La Source), cette tendance est dominée parKnut Hamsun (1859-1952) et Hans E. Kinck (1865-1926). -
PAN, Knut Hamsun - Fiche de lecture
- Écrit par Régis BOYER
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Pan, l'un des romans les plus connus de l'écrivain norvégien Knut Hamsun (1858-1952), Prix Nobel en 1920, met en scène un personnage que l'on retrouve souvent dans son œuvre, celui du vagabond en rupture avec l'époque moderne, et qui sait faire preuve, inlassablement, de fantaisie et de...