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ADENAUER KONRAD (1876-1967)

Chancelier de la République fédérale

À quoi est due son extraordinaire ascension ? Pour une part, assurément, à la possession simultanée de deux atouts : l'âge qui inspire le respect et donne les présidences, l'équilibre et l'énergie qui permettent d'agir et de ne pas jouer le rôle de potiche. Sa piété solide, sa morale un peu rigide, son aptitude à la simplification ne lui ont pas donné le goût de la spéculation, de la nuance, de la mise en question. Sa plus grande qualité a été celle du véritable homme d'État : savoir distinguer l'essentiel de l'accessoire et ne pas se laisser écarter d'une orientation fondamentale par des considérations ou des événements d'importance passagère. On l'a traité tantôt de démagogue, tantôt de dictateur prenant ses décisions sans tenir compte de l'opinion. Il vaut mieux dire que sa conception de la démocratie évitait les extrêmes. Il n'imposait pas ses vues, sauf peut-être à ses ministres. Il ne faisait pas non plus participer le peuple ni même les représentants de celui-ci à l'élaboration de sa politique. Il déterminait ce qu'il jugeait nécessaire, et soumettait son action au jugement de l'électorat, après avoir cherché, avec le flair qui seul fait les véritables hommes politiques, grâce à quelles ruses on pourrait mettre l'opinion dans les dispositions les plus favorables.

Plus le temps a passé, moins la ruse a d'ailleurs été nécessaire : sa réussite a sans cesse accru son prestige et son prestige sa réussite, du moins jusque vers 1958. Les voix les plus diverses rendaient hommage au chancelier allemand. De l'Américain Foster Dulles, qui voyait en lui le pilier de la résistance au communisme en Europe, à l'Israélien Ben Gourion pour lequel il était l'initiateur du traité de réparation de 1952, du socialiste belge Paul-Henri Spaak, promoteur de l'intégration européenne, aux présidents du Conseil français successifs, qu'ils s'appelassent Pierre Mendès France ou Guy Mollet, qui comprenaient la sincérité de sa volonté de réconciliation franco-allemande, tous ont fait des vœux pour que la République fédérale demeurât le plus longtemps possible l'Allemagne d'Adenauer. Et puis il y eut, le 14 septembre 1958, le coup de foudre de l'amitié avec Charles de Gaulle, une amitié qui allait se maintenir intacte jusqu'à la mort de l'homme d'État allemand.

Mais les dernières années ont vu son prestige ébranlé. Les maladresses commises par lui-même, en 1959, à propos de la succession de Theodor Heuss à la présidence de la République, les mauvais rapports personnels avec le président Kennedy, la lutte parfois injuste menée contre son successeur à la chancellerie, le professeur Erhard, auquel il ne laissa la place que sous la pression de son parti : malgré le traité d'amitié franco-allemand de 1963, malgré les succès partiels, l'apogée s'est vraiment situé en 1957, avec la signature des traités de Rome et le plus éclatant de ses triomphes électoraux. Il est bon qu'il en ait été ainsi. Si Konrad Adenauer avait disparu au sommet de sa gloire, ses successeurs eussent été écrasés sous son souvenir. Il a rendu un grand service à la démocratie allemande en se montrant faillible, en acceptant de continuer à jouer le jeu politique après avoir perdu le pouvoir : la transition en a été facilitée. Transition vers des hommes moins exceptionnels, la démocratie se niant elle-même si elle dit avoir besoin en permanence d'hommes hors série.

Avant de mourir, il a ainsi pu constater qu'il avait réussi au-delà même de ce qu'il avait cru. Combien de fois n'avait-il pas exprimé la crainte que, lui parti, l'Allemagne n'aille à la dérive ? Or la République fédérale sera restée un État stable, en grande partie grâce à l'action de son premier et de son[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, Institut d'études politiques de Paris

Classification

Média

Konrad Adenauer, 1963 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Konrad Adenauer, 1963

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